Flipbook "Rouge"
Il m’est arrivé quelque chose d’étrange. Entièrement absorbé dans la fabrication du livre, je n’avais pas vraiment prêté attention aux images elles-mêmes. Puis, comme il était tard, une fois la couverture sous presse, je pars me coucher. Le lendemain, je prends le cahier en main pour voir la magie du papier s’animer et fais tourner les pages à toute vitesse. Je répète l’opération quelques fois, et voilà que soudain, par je ne sais quelle sorcellerie, quelle envie de détruire l’ordre du monde, je fais défiler les images une à une, tout doucement.
Dix images dans le livre constituent une seconde de notre temps à nous. En effeuillant lentement les pages, je vois alors se déplier l’unité solide d’un instant en une multiplicité d’événements. En l’espace d’une courte seconde, le visage passait par dix expressions différentes : un dixième de seconde de joie, un dixième de seconde d’absence, et un autre de mélancolie. Sur cette image, l’œil était illuminé et déterminé ; sur celle d’après, il s’était éteint, perdu dans le labyrinthe de son propre organe. Puis il revenait rieur le temps de deux images, pour aussitôt se durcir et finir impénétrable. Comme si notre visage, ce qui nous est le plus propre et le plus particulier, vivait sa vie pour ainsi dire dans notre dos.
Je me suis alors demandé si notre esprit agissait de même, et s’il faisait, à l’instar de notre visage, l’expérience de pensées sous-marines. Il est probablement traversé par des millions d’idées qui passent en silence sous le tapis épais de notre pensée. Et c’est sous ce lourd manteau, aidé par le tissu léger de notre visage, que surgit parfois notre liberté et notre indépendance.
Deux flipbook : le "Petit Rouge" et le "Grand Rouge"
Réalisés à partir d'une Super 8 de 1998
Couverture en cuir et intérieur papier à la cuve
- César Valentine - 2021 -