Clément Rosset - Schopenhauer (1967)
Abrégé résumé des deux livres de Clément Rosset
“Schopenhauer”
et
“Schopenhauer, philosophie de l’absurde”
- César Valentine -
La vie
Arthur Schopenhauer né le 22 février 1788 à Dantzig, alors ville libre (en Prusse depuis 1795, aujourd'hui en Pologne). Son père qui n'aime ni la Prusse ni l'Allemagne veut en faire un citoyen du monde. Il quitte Dantzig en 1793 quand la ville est annexée par la Prusse.
Après l'école primaire, Arthur voyage sur le désir de son père qui n'accorde aucune importance aux études et désire qu'il reprenne son entreprise.
De 1800 à 1805, il parcourt l'Allemagne, la Hollande, l'Angleterre, la France, la Suisse, la Silésie, l'Autriche : il écrit des notes de voyage pessimistes sur la misère de la condition humaine.
Il apprend à parler l'anglais et le français, des années plus tard il apprendra le latin et le grec.
Schopenhauer ne lit pas des textes traduits, ni d'ouvrages de commentaires ou d'étude critique. Il en résulte une horreur des professeurs et une connaissance des textes jointes à une ignorance volontaire de ce qu'en dit et pense le XIXe siècle.
Quand son père meurt en 1805, il abandonne la carrière commerciale et va à l'université.
Études secondaires (1807-1809), faculté de médecine (1809-1811), université de Berlin où il suit très ironiquement les cours de Fichte (1811-1813).
Sa mère s'installe à Weimar et a un petit succès littéraire et mondain, elle se lie d'amitié avec Goethe.
1814 : rupture définitive avec sa mère.
A 26 ans, en possession de l'héritage de son père il peut se consacrer entièrement à son ouvrage "Le monde".
1818 : il achève Le monde, échec commercial. En 1848 il publiera la deuxième édition.
En 1819, ayant un risque financier suite à un placement d'argent qu'il récupérera finalement, il sollicite un poste de professeur à Berlin.
En 1820 il est chargé d'un cours de philosophie.
Il déteste Hegel et choisit de donner ses cours aux mêmes heures que ce dernier. Résultat, il n'a que quatre auditeurs, dont un palefrenier et un dentiste.
En 1831, il fuit Berlin touché par le choléra, Hegel succombera à l'épidémie.
Il voyage et s'installe finalement à Francfort en 1833 qu'il ne quittera plus.
Ses journées se décomposent ainsi :
Repas à l'hôtel d'Angleterre, il lit des journaux et ne parle à personne.
Longues promenades avec son chien “Atma” (âme du monde), qu’il idolâtre.
Heures de délassement consacrées à jouer sa flûte, mais aussi de lecture et de travail.
Schopenhauer aime les animaux. Chez eux, la volonté ne se dissimule pas sous le masque de la représentation. Il s'intéresse de plus en plus aux chiens.
Il a toujours peur qu'on le cambriole, il prend donc de nombreuses précautions. Il rédige l'état de sa fortune en langue étrangère, a des pistolets à portée de main, reste toujours à courte distance d'une porte d'entrée pour pouvoir fuir à la première alerte (aucune alarme pendant ces 27 années).
Une statue de Bouddha, un portrait de Goethe au-dessus de son sofa, au mur des portraits de chiens et de philosophes, à terre une peau d'ours noir pour son caniche.
1836 : l’essai sur “La volonté dans la nature” complément au deuxième livre du “Monde”.
Essai de “La liberté de la volonté” qui reçoit le Prix de l'Académie des sciences en Norvège.
Essai “Le fondement de la morale”, dont les insultes envers Hegel et Fichte font scandale.
Il réunit ces deux derniers ouvrages en un volume en 1841 : “Les deux problèmes fondamentaux de l'éthique”.
1851 : publication sans droit d'auteur des “Parerga et Paralipomena”, il aura grâce à eux un succès tardif et inattendu.
1851-1852 : sa notoriété s'étend à l'Allemagne entière puis à l'Europe.
Il apparaît comme l'idole des jeunes générations. Wagner le vénère mais ce n'est pas réciproque.
Des cours lui sont consacrés à l'université de Breslau.
1858 : il refuse le titre de membre de l'Académie royale des sciences de Berlin.
Il meurt le 21 septembre 1860 de pneumonie.
Il lègue sa fortune à l'armée prussienne (pour les soldats devenus invalides pendant l'insurrection de 48-49).
Après 1860, son influence s'étend partout en Europe, surtout pendant les dernières années du XIXème, puis connaît un net déclin au début du XXème.
La philosophie
Trois problèmes de lecture :
1. Problème des rapports avec Kant
Le “post-kantisme” de Schopenhauer recouvre une rupture avec Kant, et pourtant il se proclame disciple et admirateur de Kant.
Kant est “le fait le plus admirable qui se soit produit depuis vingt siècles en philosophie”.
Kant : phénomène / chose en soi
Schopenhauer : représentations intellectuelles / manifestation de la volonté
Schopenhauer remplace la notion de “chose en soi” qu’utilise Kant par la notion de “volonté”.
Chez Kant, la liberté du vouloir relève du monde des “choses en soi”. La volonté est donc étrangère à toute description et toute connaissance psychologique (monde phénoménal).
(Volonté = idée de la raison pure)
Chez Schopenhauer, la volonté est essence du monde. Elle est objet d'expérimentation à tous les niveaux de l'expérience psychologique.
Dans chaque événement phénoménal, l'essence est présente, et l'essence étant la volonté, la volonté est présente. On peut donc observer cette “chose en soi” qu’est la volonté à l'occasion de chaque désir, de chaque tendance, de chaque geste du corps.
"Mon corps n'est pas autre chose que ma volonté devenue visible" (Le monde livre 2).
Donc chez Kant, la volonté transcendantale ne peut pas être expérimentée, alors que chez Schopenhauer, elle est un domaine d'expérimentation privilégié.
“La volonté” est la somme de toutes les forces conscientes et inconscientes qui se manifestent dans l'univers.
La volonté humaine permet de reconnaître la volonté universelle, par le biais de l'expérience interne et de la motivation psychologique. La volonté est donc une prise de conscience, mais non un modèle d'où il faudrait faire dériver toutes les manifestations de volonté dans la nature.
La volonté humaine :
- Chez Kant, le domaine de l'inconnaissable
- Chez Schopenhauer, le domaine de l'inconscient
Donc Schopenhauer est le premier philosophe à avoir rompu avec Kant.
Rupture essentielle à la différence de Fichte et Hegel qui eux gardent en commun avec Kant la primauté à l'intelligence par rapport aux instincts.
Schopenhauer privilégie les forces inconscientes au dépens de la représentation consciente.
2. Problème du pessimisme de Schopenhauer
Le pessimisme ne dissimule pas la critique du rationalisme, même s’il se confond parfois avec elle.
Nombreux ont cherché à discréditer Schopenhauer en lui associant la formule “le monde est sans joie, donc il est sans raison”. C'est-à-dire en faisant de son pessimisme la cause de l'irrationalisme. Il faut substituer à cette formule, la formule “le monde est sans raison, et (accessoirement) il est sans joie”.
3. Problème du style de Schopenhauer
L'élégance désuète de son écriture n'éclipse pas des qualités de pénétration et de rigueur, ainsi qu'une grande clarté.
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Pour Schopenhauer, les fonctions affectives subordonnent les fonctions intellectuelles.
Donc les représentations intellectuelles ne procèdent pas d'abord de la vision du vrai (philosophie classique), mais sont motivées par les desideratas (choses souhaitées) de la volonté.
Deux aspects de cette pensée de la primauté de la volonté sur l'intellect :
- Philosophie de la volonté : La volonté est l’essence du monde
- Philosophie de l'absurde : Critique des idées fondamentales du rationalisme (idée de causalité, de finalité, de liberté, d'évolution) qui font dériver le monde d'une quelconque pensée de l'ordre.
I. Philosophie de la volonté
L'étonnement Schopenhauerien porte sur le domaine de la causalité :
- Omniprésence de la causalité, c'est la forme fondamentale de la perception du monde
- Caractère inexplicable de la causalité, tout procède de la causalité mais la causalité ne procède de rien
La causalité est valable dans le monde physique mais elle est inexplicable sur un plan philosophique. Or de nombreux philosophes se sont servis du principe de causalité pour justifier le monde, pour l'interpréter. Et en particulier les principes de finalité.
Schopenhauer conteste toute interprétation philosophique de l'expérience physique de la causalité.
Les philosophes confondent quatre pensées différentes :
- Nécessité physique : principe de causalité dans le monde physique
- Nécessité logique : Relation principe/conséquence dans la pensée mathématique
- Nécessité mathématique : nécessité transcendantale qui affecte les perceptions humaines des formes à priori de l'espace et du temps
- Nécessité morale : principe de motivation à la source de toute activité humaine
Tout habile dialecticien peut construire un système qui fasse dériver l'existence d'un principe de nécessité. Schopenhauer refuse tout rapport entre le principe de causalité (nécessité physique) et le principe de motivation (nécessité morale). Et cela car on ne peut passer de la physique à la morale. Il y a donc une insuffisance de toutes les philosophies rationalistes issues de Platon.
La pensée de causalité est piège. C’est une ruse de raison.
Ruse chez Hegel : par la ruse, la raison universelle s'objective à travers le miroir déformant des subjectivités individuelles.
Ruse chez Schopenhauer : la conscience individuelle s'imagine qu'une raison universelle préside à l'ordre du monde.
Pour Schopenhauer la confusion entre causalité et motivation n'est pas innocente, elle sert un dessein secret issu de la volonté : justifier l'ordre du monde.
Schopenhauer inaugure la philosophie du soupçon (Marx, Nietzsche, Freud).
Il y a connivence entre la pensée causalité-motivation et ce que cette pensée motive : Cette connivence sert l'ordre moral, les raisons d'État, les vérités de la religion.
Voilà pourquoi l'État paye ses philosophes : “les philosophes apprivoisés”.
On pourrait penser que Schopenhauer ne fait que remplacer l'x inconnu de la causalité par l'y inconnu de la volonté. Ce qui serait seulement un changement de terme.
Effectivement, l'essence de la volonté est aussi inconnaissable que l'essence de la causalité. Mais la volonté est objet d'expérimentation interne, alors que la causalité n'est vue que de l'extérieur.
Pour Schopenhauer, volonté = volonté inconsciente
Alors que dans le sens classique, volonté = représentation intellectuelle d'une motivation
Ainsi, la volonté décrit l'ensemble des forces qui se manifestent dans le monde. Elle le décrit mieux que ne le fait le terme de causalité, et cela pour trois raisons :
- La causalité ne concerne que les représentations extérieures, alors que le concept de volonté englobe les forces extérieures et intérieures
- Causalité = objet d'expérience phénoménal
Volonté = objet de connaissance intuitive - L'idée de causalité suppose l'idée d'une raison suffisante. La volonté peut rendre compte de l'absence de tout fondement en motivation
Ainsi, s’il y a primauté de la volonté sur les représentations intellectuelles, il faut donc rechercher les motivations inconscientes à l'origine des pensées conscientes.
Pour Schopenhauer, la motivation cachée d'une pensée importe davantage que le dire de sa philosophie.
Schopenhauer ne donne à la volonté qu’un sens métaphysique. Comme la chose en soi Kantienne, elle a un caractère inconnaissable et inaccessible à toute interprétation psychologique. Nulle part Schopenhauer ne dit comment la volonté se glisse dans l'intelligence. Le rapport qui relie la volonté universelle aux subjectivités individuelles est un mystère insondable.
II. Philosophie de l'absurde
- Il détruit les doctrines rationalistes et intellectualistes
- Il annonce la fin de l'idéalisme
La philosophie rationaliste est fondée sur l'illusion primordiale du primat de l'intelligence sur la volonté. Cette illusion fait croire à un ordre dans le monde, une raison dans l'existence.
Le même écart d'indifférence sépare les sentiments de l'acteur des sentiments du rôle qu'il interprète, et ceux de l'homme en général des motivations affectives qu'il se crée.
Différence entre le théâtre et le réel :
- Le théâtre prend appui sur le réel
- Le réel ne prend appui sur rien
Conséquences, la volonté humaine n'a aucune chance de se satisfaire (pessimisme). Donc la volonté humaine (les tendances humaines) n'a pas d'existence réelle, elle n'est que représentation illusoire et figurée (irrationalisme).
Les illusions du rationalisme
1. L'illusion de la nécessité
Schopenhauer a une pensée de la contingence.
Nous avons une illusion de la nécessité qui se traduit par la représentation illusoire d'un motif :
- Représentation de la causalité comme motif de la force naturelle
- Représentation de la finalité comme motif de l'histoire du monde
Mais une nécessité physique ne peut justifier une quelconque nécessité métaphysique.
La contingence, chez Schopenhauer, signifie absence de cause à la causalité. En somme, toute existence est le fruit du hasard. Les phénomènes ramènent à la causalité, et la causalité ramène à la contingence.
Il y a une absence de nécessité dans l'instinct, un manque de besoin au besoin, comme il n'y a pas de “cause” à la causalité.
Il n'y a aucun argument à la perpétuation de l'espèce. S’il était nécessaire que l'espèce vive, alors l'expérience sexuelle serait expérience de la nécessité.
2. L'illusion de la finalité
Il existe une parfaite organisation des tendances au sein de l'univers. Donc au sein de l’univers il y a finalité et perfection.
Mais de même qu'il n'y a pas de cause à la causalité, il n'y a pas de fin à la finalité. “Une finalité sans fin” écrivait Kant dans “la faculté de juger”. La finalité est présente dans le moindre mécanisme de la nature mais elle est absente de toute perspective d'ensemble.
D'où une critique des philosophies finalistes (Leibniz). Rien en effet ne peut justifier la fin de la finalité. Le monde est parfait dans ses détails, absurde dans son ensemble (chez Leibniz le monde est imparfait dans ses détails, parfait dans son ensemble).
3. L'illusion du devenir
Pour qu'il y ait devenir, il faut que la volonté puisse évoluer. Mais la volonté est immuable autant qu'indéchiffrable. Donc il n'y a pas de devenir.
Il y a cependant nécessité de la croyance au devenir. Seule l'illusion de la modification peut faire accepter à l'humanité l'éternelle répétition de son histoire. Ainsi, la volonté garde son efficacité.
L'idée d'évolution est donc une ruse de la perpétuation de la volonté. Tout comme l'idée d'amour. L'histoire est donc histoire de la répétition (≠ Hegel). Mais cette histoire subit des modifications de la représentation nécessaire à la re-assomption par chaque nouvelle époque, d'une nouvelle même histoire.
Le même apparaît sous les illusions de la modification.
Deux conséquences à la négation du devenir :
a. La mort est illusion
La mort ne réussit pas à tuer. Elle n’introduit pas de véritable modification dans le cours de la vie (dans l'exercice de la volonté). La mort s'accompagne d'un perpétuel revivre.
La somme des désirs et des intentions qui se manifestent depuis toujours dans l'existence, se maintiennent à un même niveau de répétition. Le chat d'aujourd'hui effectue les mêmes bonds que le chat d'il y a 300 ans et l'intention politique reste la même.
Donc la mort est constamment mise en échec par la répétition.
b. La vie est illusion
La vie aussi est répétition. La vie est illusion de la représentation. Elle semble véhiculer la modification, mais la modification est contredite par le principe de répétition. La mort n'interrompt donc pas la vie, car toute vie est déjà morte.
Rien ne peut distinguer la mort de la vie selon la doctrine de la volonté.
4. L'illusion de la liberté
Schopenhauer effectue une critique du libre arbitre qui reste dans une optique kantienne.
Cependant, ses conclusions sont en rupture avec les conclusions kantiennes.
Schopenhauer décrit le monde comme une vaste pièce de théâtre. Pour faire agir ses personnages, la volonté doit leur donner l'illusion d'une libre détermination.
La liberté d'agir ne diffère des actions animales ou végétales que par cette aptitude à prendre conscience de nos motivations. Mais cette prise de conscience ne signifie pas indépendance vis-à-vis de nos motivations.
La philosophie de Schopenhauer, c'est prendre conscience de l'absence de motivation que recouvre les apparentes déterminations de la volonté individuelle. Il nous faut assumer le hasard de notre propre caractère.
L'homme n'est pas libre de vouloir ce qu'il veut. On peut refuser parfois toute volonté.
Le monde comme volonté est :
- L'omniprésence de la causalité mais l'absence de nécessité
- L'organisation minutieuse des tendances, mais l'absence générale de finalité
- Le déroulement d'un temps, mais l’absence de modification dans le temps
- Le libre agissement des personnes, mais l’absence de liberté quant à l'agencement de leur propre vie
Ce monde est “invivable et impensable”, la volonté ne sait jamais ce qu'elle veut. Elle est finalement même incapable de vouloir.
Donc ce monde est une absurdité totale car la volonté qui est l'essence du monde ne possède aucun attribut du vouloir.
L'homme peut échapper à ce monde absurde par la sagesse philosophique, à laquelle il y a trois étapes :
1. L'étape esthétique
L’étape esthétique est la contemplation de la volonté à travers les productions artistiques de l’homme. Contempler de manière désintéressée sa propre volonté par l'intelligence. L’art signifie revanche sur la volonté.
La musique occupe le premier rang dans la hiérarchie des arts pour la première fois dans l'histoire de la philosophie.
L'art qui permet la contemplation de la volonté supprime la souffrance attachée aux représentations de cette volonté.
Donc une prise de regard avec la volonté, une prise de distance avec la volonté. Cela constitue une libération partielle, mais n'est pas encore pur détachement.
2. L'étape éthique
L’étape éthique est une morale de la pitié. C’est une prise de conscience de l'identité de toutes les volontés individuelles, malgré leurs différences phénoménales, au sein du même vouloir général.
Donc sa propre volonté qui était dans l’étape esthétique, objet de contemplation, devient illusoire et perd son caractère essentiel. Cela a pour effet la dissolution de la volonté individuelle dans la “volonté générale”.
La conséquence morale d’un tel mouvement, c’est que l'homme devient bon. L'esprit de lutte laisse la place à l'esprit de sympathie.
“Ne nuit à personne, sois bon avec tout le monde”.
3. La négation radicale de la volonté
L'homme, renonçant à tout intérêt vital, se désolidarise de la volonté générale. Il accède alors au nirvana.
Philosophie généalogique :
Schopenhauer a apporté à la philosophie généalogique. (“Peut-être ignore-t-on encore tout de la manière dont des idées peuvent agir sur des idées” Foucault)
On ne peut pas se représenter clairement une généalogie des idées philosophiques. Nous pouvons dire les éléments communs entre certains penseurs et constater l'apparition de ces éléments à une certaine époque.
La généalogie ne distingue pas une filiation chronologique, mais un engendrement plus fondamental qui relie une manifestation à une volonté secrète, volonté qui parvient à se réaliser au prix d'une série de transformations. C'est cela que doit déchiffrer le généalogiste.
Le généalogiste recherche donc une origine en deçà de la parole.
Nietzsche fut le premier à introduire directement cette conception dans l'investigation philosophique.
Aujourd'hui, la perspective généalogique est presque inévitable. Toute recherche de vérité s’en revendique, et toute attitude non généalogique est aussitôt suspecte.
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SCHOPENHAUER, PHILOSOPHE DE L’ABSURDE
I. INTUITION GENEALOGIQUE
1. Étonnement et causalité
Réflexion sur l'idée de causalité : elle est matière à étonnement.
“Avoir l'esprit philosophique, c'est être capable de s’étonner des événements habituels, de se poser comme sujet d'étude ce qu'il y a de plus général et de plus ordinaire”
Deux niveaux de l'étonnement :
- Étonnement scientifique : il intervient quand des phénomènes font exception aux lois de la nature
- Étonnement philosophique : il surgit en présence même de ce cours naturel des choses. Le cours naturel des choses tient lieu pour le savant d'explication finale
"Toute science n'est pas insuffisante accidentellement, mais essentiellement"
L'étonnement schopenhauerien est une angoisse devant l'absence de causalité. A la faveur du développement des sciences physiques et chimiques, toutes les idées sont devenues causales, “Sournoisement causales”. Cela a entraîné une perte de l'étonnement chez l'homme contemporain de Schopenhauer. L’homme a une tendance à généraliser des causes à tout ce qui existe, c’est-à-dire une tendance à l'induction.
Il y a un envahissement de la catégorie de causalité. Cet envahissement est inévitable selon Schopenhauer, car la catégorie de causalité est la seule structure des représentations, la seule forme réelle de l'entendement. Cet envahissement est le fruit de la confusion dans les opérations intellectuelles qui passent pour avoir une seule et même forme dans le principe de raison.
Schopenhauer distingue quatre domaines d'opération intellectuelles. Les quatre racines du principe de raison :
- Domaine des représentations empiriques : le seul domaine où le principe de raison revêt la forme de la causalité
- Domaine des notions abstraites : le principe de raison n'est que le rapport d'une connaissance à ses conséquences
- Domaine des perceptions à priori : domaine de la sensibilité pure, donc de l'intuition à priori de l'espace et du temps
- Domaine de l'être en tant que vouloir : le principe de raison constitue la motivation, "la causalité vue de l'intérieur"
Donc quatre différents principes de raison. Le principe de raison explique pourquoi telle chose est. Il y a donc quatre formes différentes de nécessité, puisque le principe de raison est le support de l'idée de nécessité.
Il y a donc :
- Une nécessité physique : Elle enchaîne deux phénomènes. Elle régit le changement dans les représentations du monde
- Une nécessité logique : elle lie un principe à sa conséquence
- Une nécessité mathématique : elle affecte la forme à priori des représentations
- Une nécessité morale : elle régit le ressort des actes volontaires chez l'homme et l'animal, ainsi que celui de toutes les forces naturelles
C'est ces quatre formes de nécessité qui sont confondues par les philosophes. Il faut donc exiger des philosophes de dire à laquelle des quatre formes de nécessité ils songent quand ils parlent de “raison”.
Il existe une confusion extrême entre le 1er et le 4ème domaine, entre les notions de cause et de force. Une cause renseigne sur la modification des phénomènes, mais non sur leur essence. L'idée de causalité est un mirage qui promet plus qu'il n'apporte en réalité. C’est un jeu de miroir qui renvoie d'apparence en apparence, et auquel l'homme moderne a fini par se faire prendre.
L'idée de causalité ainsi confondue a tué l'étonnement. Cet étonnement renaît quand l'idée de causalité redevient claire. Tout apparaît alors sous la lumière de "l'inexplicable", de "l'incausé", du "non nécessaire".
L'absence de nécessité rend ce monde étrange, angoissant et indéchiffrable (≠ Hegel).
Dans tous les phénomènes de la nature, toute cause sous-entend une force. La cause n’est qu'une représentation abstraite de la force. Pour Schopenhauer, sous toutes les représentations du monde se cache une force, un principe obscur. Tout est force puisque tout est tendance vers quelque chose. La pierre tend vers le sol, la plante vers l'eau, l'animal vers sa nourriture. Toutes les forces sont des qualités occultes. Elles n’ont ni origine, ni qualité décelable. Ce monde est incompréhensible.
Dans ce monde, il n'est aucune chose qui avait plus de chance d'exister qu'autre chose, aucune chose qui avait plus de raison d'être sous cette forme plutôt que sous telle autre.
2. Le primat du vouloir et la découverte de l'inconscient
Si on ne peut comprendre ces forces, on peut cependant les décrire, et dans une certaine mesure les connaître.
Comment les connaître ? Dans la 4ème classe d'objet (les actions du moi “voulant”).
L'expérience de notre propre volonté permet de saisir une force de motivation. C'est parce que nous faisons l'expérience d'actes de volition, provoqués par de simples idées, que nous savons que les actions des hommes et des animaux sont aussi un acte de volition.
Dans toutes les autres causes (les 3 premières classes d'objet), l'influence du motif nous est connue du dehors et médiatement. Dans la 4ème classe d'objet l'influence du motif nous est connue du dedans, du dehors et immédiatement, car nous faisons l'expérience de la volonté motivée par une idée.
"Ici, nous sommes derrière les coulisses, nous pénétrons le mystère comment, selon son essence intime, la cause produit l'effet" (Schopenhauer)
Donc l'expérience de la volonté propre est la seule voie d'accès. C'est le seul domaine où l'intuition de la force naturelle soit accessible à notre esprit et devienne objet d'expérience. Cette expérience n’explicite pas cette force mais la rend proche et présente. Cette force n’est pas claire mais visible, "La visibilité de l'inexplicable".
"Mon corps n'est pas autre chose que ma volonté devenue visible".
Le geste de la main vers le verre donne soudain un accès direct au mystère de toutes les forces de l'univers. Dans le geste de la main vers le verre, le connaissant et le connu coïncident.
La volonté Schopenhauerienne est non préméditée, non voulue, non intelligente, non consciente, mais instinctive et inconsciente (≠ Spinoza).
Tout est vouloir, mais il y a un seul et même vouloir. Donc l'individualité n'est qu'illusion, elle n'est qu'une partie inconsciente du Grand Vouloir. Tous les individus participent, chacun à leur manière, d'un vouloir identique. Le principe d'individuation n'existe et n'a de sens que dans le monde des phénomènes. Le principe de causalité est la forme sous laquelle se manifeste la force du vouloir.
Cette intuition de l'identité finale de toutes les volontés est le fondement de la morale Schopenhauerienne. C'est une intuition de la pitié, le sentiment d'une identité radicale, une communion humaine.
"Presque tous les hommes pensent incessamment qu'ils sont celui-ci et celui-là, avec les corollaires qui en résulte. Mais qu'ils sont un homme et quels corolaires résultent de ce fait, c'est ce à quoi ils songent à peine, et c'est pourtant là le point principal" (les Parera, Schopenhauer).
De là le corollaire que toute volonté est vaniteuse puisque le vouloir dont elle est l'image est par définition sans cause ni but.
Les philosophes classiques avaient déjà analysé cet aspect de la primauté de la “passion” sur le “jugement”, mais il s'agissait seulement d'accidents de l'esprit. Pour Schopenhauer le vouloir gouverne tout et toujours. Ce qui était l'exception devient la règle.
Tous les philosophes antérieurs à Schopenhauer placent l'être véritable de l'homme dans la connaissance consciente. Pour ces philosophes, le moi où l'âme est représentée comme connaissant ou pensant, et d'une manière secondaire et dérivée, l’homme est représenté comme un être voulant.
Chez Schopenhauer, il y a un conditionnement absolu des fonctions intellectuelles par les fonctions affectives.
“Ce qui s'opère par l'intellect est une plaisanterie en comparaison de ce qui émane directement de la volonté”
La philosophie de la volonté inaugure l'ère du soupçon qui recherche la profondeur sous ce qui est exprimé et la découvre dans l'inconscient.
Aucune démarche intellectuelle ne peut se comprendre à partir d'elle-même. Elle demande à être “interprétée” à partir d'un point de vue nouveau qui est la question de l'origine : les motivation secrètes, les motivations inconscientes.
C’est donc aussi une critique de Hegel et des autres intellectuels. Critique de la superficialité du parleur qui sait ce qu'il dit mais qui ignore pourquoi il parle. Le bavardage est donc un important problème philosophique.
La parole est utile pour chasser de la conscience les raisons secrètes qui ont fait parler.
"L'esprit original demeurera quelques temps sans saisir les raisons de l'opposition de ses adversaires jusqu'à ce qu'il s'aperçoive un beau jour que, tandis qu'il s'adressait à leur connaissance, il avait affaire en réalité à leur volonté" (Le monde 928)
L'intuition généalogique, c’est sentir que ce qui importe n'est pas dans l'expression des idées, mais dans leur provenance.
Le rationalisme s'en tient à la parole et n'accède jamais au problème de l'origine.
Dans ses analyses “Du primat de la volonté dans la conscience de nous-mêmes” (chapitre 19 des suppléments du livre 2 du Monde), Schopenhauer multiplie les analyses psychologiques. Il analyse l'astuce des sots. Il pose le problème philosophique de la sottise. Ce n'est pas une faiblesse des fonctions intellectuelles, mais une faiblesse dans un certain usage des fonctions affectives.
“Le fort succombe sous les ruses des faibles”.
Folie :
Schopenhauer, précurseur de Freud, dit de la folie que nous nous réjouissons pour refuser d'admettre une réalité pénible. Le fou est incapable de cohérence logique car il n'a ni l'envie, ni la force de se retremper dans le réel quotidien. La folie est une issue “économique” pour l'affectivité à laquelle elle épargne le spectacle de la réalité. L'homme sain d'esprit n'a pas besoin d'oublier.
“La véritable santé de l'esprit consiste dans la perfection de la réminiscence” (Supplément au Monde chapitre 32)
3. Schopenhauer et l'idée généalogique : une révolution manquée
Il ne s’est pas trop intéressé à expliquer les phénomènes par l'influence du vouloir, mais il s'est intéressé à décrire le vouloir lui-même dans son absurdité précisément inexplicable.
Ainsi, tout en étant le premier généalogiste, sa philosophie n'a pu parvenir à la pleine exploitation d'elle-même.
Philosophie généalogique = pensée d'un rapport.
La philosophie généalogique s'applique à :
- Découvrir des relations entre des termes qui paraissent à la faveur d'un déguisement, étrangers l'un à l'autre
- Trouver la manière dont le caché reste présent dans le manifeste
- Trouver le rapport qui relie une manifestation intellectuelle à des manifestations sous-jacentes
- Montrer comment on passe d'un niveau psychologique à un autre
C’est une pensée de la métamorphose.
Mais Schopenhauer n'a pas cette pensée du rapport (à la différence de Nietzsche). Pour lui il n'y a aucun rapport possible entre le vouloir et l'intellect. Le vouloir est absolu, il se déverse indifféremment dans toutes les créatures individuelles. Donc la généalogie Schopenhauerienne est morte sitôt née.
Comment le même vouloir peut-il être à l'origine d'une telle diversité de caractère ? Schopenhauer s'interroge, et conclut qu’il lui est impossible d'expliquer cela : "Peut-être quelqu'un viendra après moi éclairer cet abîme".
C'est Nietzsche qui restaurera les rapports entre l'intelligence et l'inconscient.
“Schopenhauer n'a pas pu résoudre le problème de l'individuation et il le savait” (Nietzsche).
Il est donc le précurseur de la philosophie généalogique. Il a fait la distinction entre deux zones de la vie psychique, l’une obscure, inconsciente et toute puissante, l'autre claire, consciente et déterminée. Donc rien de commun avec les concepts de noumène/phénomène de Kant. Finalement, son plus grand tort a été sûrement de s'être cru kantien.
On lui a reproché de remplacer la notion de causalité par la notion de vouloir. Mais Schopenhauer ne prétend pas expliquer quoi que ce soit par la notion de vouloir. Le vouloir est l'univers, pas la cause de l'univers. Le vouloir est aveugle et inexplicable. En résulte que ce monde est absurde.
Schopenhauer a accepté toutes les conséquences de l’irrationalisme. Il ne veut pas expliquer le comportement singulier, il veut faire apparaître l'absurde de tout comportement. Le monde est le plus mauvais des mondes possibles. Le monde et toutes les forces qui s’y manifestent sont mauvais : “Ce qui est ne devrait pas être”.
Le monde est le plus mauvais des mondes possibles. Il suffirait du plus petit changement dans son ordre pour qu'il cesse d'exister. Donc, dans son œuvre, dieu a commis le maximum de mal compatible avec l'existence.
II. LA VISION ABSURDE
1. La finalité sans fin
Dans un monde où tout est tendance (le désir se donne comme désir, comme tendance), une puissance qui n'est pas tendance règne en maître : le vouloir. Le vouloir est dénué de finalité.
Les buts qu’on s’assigne n'ont pas d'existence réelle. Les buts jouent le jeu de la tendance (c'est-à-dire de la finalité, de la réalisation) pour obéir au vouloir, mais ce n'est qu'un jeu.
L'homme en colère joue le “comme si” de la colère, l'ambitieux le “comme si” de l'ambition. L'homme est esclave de tendances qui ne tendent pas.
Et l’absurde paradoxe est l'absence de fin dans un monde où tout est parfaitement organisé en vue d'une fin.
La manifestation des finalités dans la nature est attachée à la représentation et au point de vue individuel. L'intuition de l'absence des finalités ne se comprend que dans le monde indifférencié du vouloir. Cela implique que les finalités apparaissent sur le plan particulier et deviennent aveugles dès que l'on se place sur un plan général.
"L'homme a toujours un but et des motifs qui règlent ses actions. Il peut toujours rendre compte de sa conduite dans chaque cas. Mais demandez-lui pourquoi il veut, ou pourquoi il veut être, d'une manière générale, il ne saura que répondre. La question lui paraîtra même absurde... En résumé, la volonté sait toujours quand la conscience l'éclaire, ce qu'elle veut à tel moment et à tel endroit. Ce qu'elle veut en général, elle ne le sait jamais" (Le monde 215-216)
2. La nécessité sans cause
Nous sommes dans l'impossibilité d’assigner un fondement à la nécessité. Cette situation est donc absurde. La nécessité est privée de nécessité, elle est privée de cause pour l'expliquer. L'homme est un esclave sans maître. La nécessité se manifeste par la volonté, mais “on ne comprendra jamais la volonté, elle est sans raison”.
Pour Schopenhauer, l'absurde n'est pas à proprement parlé le contradictoire et l’illogique, mais l'incausé. Par “incausé”, il faut entendre dénué de point de départ, dénué d'origine auquel il puisse se référer.
Le monde, l'existence sont le tout. Il est impossible de trouver un point à l'extérieur du tout pour le faire reposer.
"Le monde ne peut pas se justifier lui-même. La véritable explication est que la source de son existence est formellement sans raison : elle consiste en effet, dans un vouloir vivre aveugle, qui, en tant que chose en soi, ne peut être soumis au principe de raison, forme exclusive des phénomènes et seul principe justificatif de toute question sur les causes" (Le monde 1342)
C'est l'absence de cause qui est le mal. Cette absence de cause est source d'inquiétude pour Schopenhauer. L'absence de cause est inadmissible et humiliante.
Instinct sexuel :
De toutes les manifestations du vouloir, la sexualité est la seule qui dépasse radicalement l'intérêt de l'individu et la conservation de son être et bien-être, pour participer directement aux intérêts de l'espèce. L’instinct sexuel a donc un caractère absurde et paradoxal.
L'individu consacre tout son sérieux et son énergie à la recherche d'un plaisir dont le bénéficiaire exclusif est l'espèce. C’est le plaisir suprême d’œuvrer à un bien qui ne le concerne en rien.
Ainsi, l’instinct sexuel et l'amour qui en résulte sont masque et stratagème.
"La nature ne peut atteindre son but qu'en faisant naître chez l'individu une certaine illusion, à la faveur de laquelle il regarde comme un avantage personnel ce qui en réalité n’en est un que pour l'espèce, si bien que c'est pour l'espèce qu'il travaille quand il s'imagine travailler pour lui-même" (Le monde 1293)
Ce n'est jamais l'individu qui veut, alors qu'il fait sienne la tendance sexuelle.
Honte sexuelle :
Dans l'expérience sexuelle, l'homme prend un instant conscience qu'il ne peut plus se mentir à lui-même, et que c'est quelque chose d'étranger qui se manifeste en son vouloir. Cela provoque un sentiment de honte. Les tendances intellectuelles anéantissent le mythe de la personne, mythe qui suppose une libre disposition de soi-même. L'humiliation repose sur le sentiment d'absence de causalité, sur l’intuition de la nécessité sans cause. Ce sentiment est le seul aspect profondément asservissant des instincts.
Cette intuition provoque honte, insatiabilité, vanité, ennui, dans tous les désirs.
3. L'illusion de la Liberté
L'homme possède une part d’autonomie face aux déterminations de son être physiologique. Les philosophes l'ont appelée liberté.
Pour Schopenhauer, la liberté est une nouvelle illusion. Elle est le résultat d'une confusion entre les volontés particulières et les manifestations plus grossières du vouloir, telles qu'on les observe dans le monde minéral, végétal ou animal.
Ma volonté choisit à mon insu ce que je veux parmi ce que je peux. L'eau peut s’élever en vagues ou rester calme, mais pour cela il lui faut des causes. A l’homme, il faut des motifs. Ils expriment sa volonté. La volonté de l’homme devient la condition de son action, non la marque de sa liberté.
Mais pourtant j'ai bien le sentiment que ce que je veux, c'est moi qui le veux !
C’est cela même le cercle vicieux de la liberté, ou plutôt de l'illusion de la liberté, qui répète inlassablement sa propre volonté.
Ma volonté ne dépend que de moi, mais moi je dépends de ma volonté. Chaque activité révèle la motivation la plus puissante. L'homme est seulement capable de se décider après choix (le thème gidien des Caves du Vatican).
Le caractère d’une personne, c'est la somme de toutes les volontés de la personne. C'est cet aspect de la nécessité qui l’enchaîne au vouloir. Donc tout dépend de nous, hormis nous-mêmes.
Le remords, c'est croire qu'on aurait pu agir autrement, alors qu'en fait le remords est une voix sourde qui dit : “tu devrais être un autre homme”.
Quand on hésite, on ne sait pas encore l'homme qu'on est. On apprend l’homme qu'on est qu’en agissant. Il est donc toujours trop tard pour la liberté.
La nécessité est toujours un hasard dissimulé.
4. L'illusion du devenir et la répétition éternelle
Le temps perd ses qualités “d'à-venir”. Ce n'est plus une droite orientée vers un futur. Le temps est un cercle éternellement renfermé sur lui-même. Le retour du temps définit l'ennui. Le temps détraqué s'est arrêté. Il ne remplit plus sa mission qui est de faire advenir l'avenir. Le temps fait advenir le passé. Le temps réussi à faire passer des événements passés pour des événements nouveaux.
Thème de la répétition :
Le vouloir ne fait que répéter indéfiniment son propre dessein. La répétition est négatrice de mouvement et de vie. L'histoire comme explication rationnelle est donc une illusion. La croyance en la finalité est le divertissement même.
En somme, le vouloir est privé de tous les caractères du vouloir.
La volonté est incapable de vouloir.
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Notes supplémentaires
Objectité :
L'objet le plus immédiat. Celui qui nous fait éprouver de la manière la plus proche que le monde n'est pas que représentation mais aussi volonté.
"Le corps est l'objectité de ma volonté" = ce qui est éprouvé, c'est l'objectité.
Volonté :
Le mot magique qui nous fait découvrir l'essence la plus intime de toute chose dans la nature.
Entendement :
Notre entendement ne regarde pas les choses une à une, il vise des rapports de dépendance.
Pour Kant, le monde tel qu'il est en lui-même (c'est-à-dire indépendamment de la façon dont nous nous le représentons) est la cause de nos représentations.
Deux objections :
- La causalité est justement une de nos formes de pensée
- “La nature de la raison ne consiste pas à exiger l'inconditionné”. Au contraire, la raison est mondaine, elle se contente de rester dans les limites de l'expérience car son principe l'oblige à regarder toute cause comme l'effet d'une cause ultérieure
La source de ces réflexions sur l'origine du monde est affective. C'est la connaissance de notre mortalité, des souffrances et déception de la vie qui nous amène à nous demander ce qu'est ce monde.
Donc l'origine de la question métaphysique est notre misère et non notre raison.
Objection sur la possibilité du salut Schopenhauerien :
Si la volonté est la réalité fondamentale, peut-on s'en détacher ?
En prenant du recul pour regarder le monde de l'extérieur, est-ce qu’on adopte le point de vue de nulle part ?
Schopenhauer précise effectivement qu'avec l'abolition complète de la volonté, le sujet disparaît aussi.
Donc il est impossible de faire coexister sa métaphysique de la volonté avec son éthique du Salut (Les trois points de son éthique du salut sont : art - morale - ascétisme)
Sur la notion de caractère :
Le caractère de l'individu est une modalité spécifique de la volonté. Il y a donc difficulté pour Schopenhauer de concilier responsabilité et déterminisme.
Sur la compassion :
L'action bonne doit avoir pour motif de procurer le bien à un autre être, ou de lui éviter le mal. Pour cela, il faut s'identifier à l'autre et faire comme s’il n'y avait pas de différence entre nous. Donc c'est la compassion ou la sympathie, un phénomène quotidien de notre expérience, qui constitue le véritable fondement de la morale. Une telle éthique de la compassion doit logiquement s’étendre jusqu’aux animaux, en somme, à toute créature qui peut souffrir = doctrine bouddhiste.
La compassion consiste à ressentir la souffrance de l'autre non pas dans notre corps, mais dans notre personne. Reconnaissance de la volonté comme la réalité métaphysique où toute distinction entre individus disparaît.
Objection à la compassion Schopenhauerienne :
La compassion ne peut annuler la différence entre nous et l'autre, car on n’oublie pas que l'autre souffre quand on souffre avec lui. Donc la compassion a un caractère double :
- Identification à l'autre
- Conscience de la distinction qui persiste entre nous et lui