L'identité (1998)


L'identité (1998)

Abrégé résumé de l'étude de Stéphane Ferret par César Valentine




Sortal :

Les prédicats sortaux sont les prédicats fondamentaux des particuliers. Ils spécifient ce qu'est le particulier en question. Ils répondent à la question "qu'est-ce ?" Ce qui est ainsi désigné par le prédicat sortal, est un concept sortal. Le prédicat sortal ne se contente pas d'appréhender le particulier sous un certain aspect, il dit ce qu'il est véritablement.

Les choses sont rangées sous des noms, en espèces. De fait, l'essence de chaque "sorte", de chaque espèce, est cette idée abstraite que le nom général (ou sortal) représente.

Donc :

 

  1. Les noms communs désignent des particuliers sortaux 
    = test grammatical
  2. Un prédicat sortal permet de répondre à la question "combien y a-t-il de F à tel endroit ?"
    = test de dénombrement
  3. Un prédicat sortal peut s'appliquer tout au long de la carrière du particulier considéré
    = test temporel
    Le test temporel permet d'opérer une distinction :
    Les concepts sortaux de phase : Ils ne s'appliquent que pendant une période limitée de la carrière du particulier (enfant, chaton, têtard)
    Les concepts sortaux de substance : Ils s'appliquent tout au long de la carrière du particulier (homme, chat, grenouille)





1.  Identité et existence

 

L'identité est la nature de l'existence. Vous êtes toujours identique à vous-même. L'identité est la relation que chaque individu entretien avec lui-même tout au long de son existence. Il n'y a pas d'entité sans identité. 

 

Le terme identité recouvre trois concepts

  • L'identité numérique
    Tout ce qui est, est identique à lui-même
  • L'identité qualitative (ou indiscernabilité)
    Le degré maximal de ressemblance qui existe nécessairement entre une chose et elle-même, et qui pourrait exister entre plusieurs choses numériquement différentes
  • L'identité spécifique
    Réunit sous un prédicat sortal des individus appartenant à la même sorte

 

L'identité numérique exclut la possibilité pour plusieurs choses d'être identiques : seul x = x, et si x = y alors c'est que x et y ont la même référence, mais un sens différent.

 

Cependant, deux choses même indiscernables, sont numériquement différentes par le fait qu'elles sont deux. Donc l'identité n'est pas la similitude. Donc l'identité qualitative n'est pas l'identité numérique (Pierre et Paul ont chacun une Renault 5 = la voiture de Pierre est qualitativement identique à la voiture de Paul, tout en étant numériquement différente)

 



2.  Le principe de dépendance sortal

 

La croyance commune considère que :

  • L'identité qualitative est le critère de l'identité numérique (Paul enfant et Paul adulte sont le même individu s'ils sont qualitativement identiques)
  • L'identité qualitative est le critère de l'identité spécifique (Pierre et Paul appartiennent à la même espèce s'ils entretiennent une relation de similitude comprise comme une version plus ou moins relâchée de l'identité qualitative)

 

Mais en fait, l'identité spécifique est une condition nécessaire de l'identité numérique. effectivement, toute chose est une certaine sorte de chose qui s'applique à la chose tout au long de son existence et qui définit ses conditions de persistance. En d'autres mots, la "sorte" ou "espèce" définit ce qu'est la chose tout au long de son existence.

Donc la question "qu'est-ce ?" a pour vocation d'appréhender la sorte de chose considérée.

Entre "Socrate est un homme" et "Socrate est un philosophe", on aura tendance à penser que "être un homme" définit l'identité spécifique de Socrate, puisque ce prédicat s'applique à Socrate tout au long de son existence.

Cependant, on ne peut pas se satisfaire de traits aussi superficiels. Il nous faut saisir l'essence même de Socrate.

 



3.  Le mirage de l'identité qualitative

 

L'identité qualitative n'est pas un critère déterminant pour élucider l'identité numérique, car elle s'oppose par définition au changement.

L'identité qualitative n'est pas un critère déterminant pour élucider l'identité spécifique :

  • Deux objets d'aspect différent peuvent être indiscernables (une soucoupe de tasse à café et un cendrier).
  • Deux choses peuvent partager les mêmes qualités (un tire-bouchon manuel et un tire-bouchon mécanique). 

C'est donc la fonction et non l'apparence qui rend le mieux compte de l'identité spécifique des ustensiles.

 

Il faut donc faire la différence entre la psychologie de la réidentification et la métaphysique de l'identité. Pour cela il faut faire une distinction entre :

  • Symptômes d'identité = indices signifiant l'objet. (Relève de la connaissance : apparence, similitude, identité qualitative. Exemple : empreintes digitales. Un homme sans doigts est toujours un homme).
  • Critère d'identité = ensemble de conditions nécessaires et suffisantes permettant à l'objet d'être ce qu'il est (relève de la métaphysique : la sorte, ou l'espèce qu'une chose est censée être).

 



4.  La prétendue fiction de l'identité

 

Pour de nombreux philosophes, l'identité est une fiction de l'esprit. C'est aussi ce que prétend la maxime d'Héraclite "on ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve". Cette tradition du mobilisme universel prétend que le monde n'est pas constitué de continuants, mais de devenants.

Descartes inaugure une rupture dans cette tradition : les choses strictement matérielles ne sont jamais identiques à elles-mêmes, excepté les corps humains, qui, parce qu'ils sont unis à une âme, demeurent toujours identiques. Dans cette perspective, un lézard qui perd sa queue n'est plus le même lézard, mais un homme à qui on retrancherait la totalité de son corps (1ère méditation), resterait le même homme. De fait, pour Descartes l'identité n'est pas dans le corps, mais dans l'esprit. L'esprit via la pensée est une substance authentique.

En affirmant que le changement est contraire à l'identité, on néglige la distinction entre l'identité numérique et l'identité qualitative, on considère à tort que l'identité implique la permanence ou l'invariabilité, et on répète ainsi la thèse du mobilisme universel. Mais avec une définition aussi tranchée, on ne peut que critiquer tous nos jugements d'identité. Cette thèse aboutit à des absurdités plus importantes que ce qu'elle dénonçait, car comment un enfant qui grandit et vieillit, ne serait pas toujours un seul et même homme ?

La distinction entre l'identité numérique et l'identité qualitative permet une autre solution : l'homme adulte est qualitativement différent de l'enfant, tout en lui étant numériquement identique.

Cette tradition du mobilisme qui réduit nos jugements d'identité à une fiction de notre imagination se condamne à ne plus pouvoir rendre compte de ce qui précisément fait problème : le devenir des choses.

 



5.  Identité et diversité

 

L'identité peut-être compatible avec le changement. Pour lever cette ambiguïté, il faut distinguer deux types de changement :

  1. Les changements qui préservent l'identité de la chose qui change
  2. Les changements qui détruisent l'identité de la chose qui change

 

Donc :

  1. Changement de degrés : Si la chose continue à exister à la suite du changement, il s'agit d'une seule et même chose. Il y a donc identité numérique, mais variation qualitative (fœtus → bébé → enfant → adulte → vieillard)
  2. Changement de nature : Si la chose disparaît, il s'agit d'une ou plusieurs choses (vieillard → cadavre)

 

C'est "la sorte", ou espèce à laquelle la chose est rattachée qui détermine le mieux la différence entre les changements de type 1 et 2.

Exemple :

 

  • Changement de type 1 : Socrate enfant et Socrate adulte sont le même être = il est toujours un homme.
  • Changement de type 2 : Socrate vivant et Socrate mort ne sont plus le même être = un homme mort n'est plus un homme.

 

 

On n'échappe pas à "sa sorte". Si les têtards se transforment en grenouilles, les carrosses ne se transforment pas en citrouilles. On peut déduire de cela deux sortes de métamorphoses :

  1. Métamorphose naturelle (la chenille qui devient papillon)
    = Transformation d'un état d'une substance à un autre état de la même substance
  2. Métamorphose fantastique (Kafka)
    = Passage d'une substance à une autre substance

 

Une autre question est de savoir si notre attribution de l'identité dépend des choses elles-mêmes ou de notre vision du monde. Pour y répondre, il faut opérer une distinction entre les changements intrinsèques (mode I), suscités par l'objet qui change (l'œuf devient poule), et les changements extrinsèques (mode E), non suscités par l'objet qui est changé (une vieille paire de chaussures est ressemelée).

 

Nous avons donc à présent quatre familles de changements :

 

 

Ces distinctions posées, on voit que l'individuation des objets biologiques ne dépend pas de notre vouloir. Donc il semblerait très probable que les espèces naturelles sont découvertes plutôt qu'inventées.

Dans cette perspective, notre ignorance ne change rien à la nature des choses. Et si nous sommes parfois incapables de résoudre un problème engageant une identité, cela signifie que nos concepts courants sont moins élucidés qu'on ne le suppose. 

 

"Il y a encore unité et même plus d'unité dans ce qui est un tout et qui a une configuration et une forme, surtout si le tout est tel naturellement et n'est pas, comme ce qui est joint par la colle, par un clou, par un lien, le résultat de la contrainte. Autrement dit, si le tout porte en lui-même la cause de sa propre continuité" Aristote Métaphysique X, 1, 1052a

 

L'essentiel pour nous est de poser la distinction, non pas entre les êtres naturels et les objets fabriqués (car un nid d'hirondelles est à la fois un objet fabriqué et un objet naturel), mais entre les êtres dotés d'un principe interne d'activité, et les êtres qui n'en sont pas dotés.

 

 



6.  Identité personnelle

 

Pour Locke, c'est la conscience de soi qui détermine l'identité personnelle : une personne demeure une et la même tant qu'elle a conscience d'elle-même. Mais puisque la conscience de soi porte aussi sur le passé, et donc rend possible de s'éprouver comme un et le même tout au long de son existence, Locke rattache l'identité personnelle à la mémoire.

Cette thèse s'oppose donc aux 

  • Théories substantialistes qui identifient le moi à une substance immatérielle (Descartes et le cogito) = le moi comme âme
  • Théories physiologistes qui identifient le moi à une partie essentielle de l'organisme = Le moi comme corps 

 

La thèse de Locke est psychologique, le moi est la conscience que j'ai de moi. Cette thèse de la continuité de mémoire voit deux critiques majeures :

  1. Selon Joseph Butler (1736), la thèse de Locke est circulaire : ce n'est pas la conscience de notre identité qui nous rend identiques à nous-mêmes, mais c'est au contraire parce qu'on est identique à nous-mêmes à deux moments différents, qu'on a conscience de notre identité.
  2. Selon Thomas Reid (1785), la thèse de Locke conduit à des absurdités, car il est clair qu'une personne peut oublier des actions qu'elle a faites, sans pour autant être une personne différente de celle qui a accompli ces actions. On ne se souvient pas de tout ce que l'on a fait, et plus encore, on n'a pas conscience de nous-mêmes dans le sommeil, et on reste cependant identique à soi.

 

Locke a confondu la question "comment savons-nous que nous sommes un et le même ?" (Question qui touche à notre connaissance de nous-mêmes = question épistémique), avec la question "comment se fait-il que nous soyons un est le même ?" (question qui porte sur les choses telles qu'elles sont, indépendamment de la connaissance que nous pouvons en avoir = question métaphysique). 

Donc affirmer qu'un amnésique n'est plus la même personne, c'est confondre le plan épistémique et le plan métaphysique du problème.

Nous ne sommes donc pas les mieux placés pour savoir qui nous sommes. Mémoire et conscience de soi sont des symptômes, et non des critères de l'identité personnelle.

 

Homme : une espèce d'êtres dotés d'un code génétique caractéristique.

Personne : une catégorie d'êtres à qui peuvent être attribués des prédicats matériels (mesure un mètre quatre-vingts) et psychologiques (à l'intention de se promener).

 

Donc deux questions :

  • Tous les hommes sont-ils nécessairement des personnes ? La réponse est oui.
  • Toutes les personnes sont-elles nécessairement des hommes ? La réponse est non. Des extraterrestres pourraient être considérés comme des personnes authentiques, et il en est de même pour certains animaux.

 

De fait, si on considère le même être humain à deux moments de son existence, il s'agira également de la même personne, et réciproquement (en gardant à l'esprit que "personne" ≠ "personnalité").

 

Le cerveau semble être le porteur de l'identité personnelle. Il est la limite de transplantation au-delà de laquelle nous n'avons plus affaire à une seule et même personne (on peut greffer un cœur et être toujours en présence de la même personne, mais greffer un cerveau pose tout un tas de problèmes puisqu'une personne humaine est là où est son cerveau). Cependant, dire que le cerveau est le porteur de l'identité personnelle ne résout rien, puisque nous ignorons le critère d'identité du cerveau lui-même. 

Reste que l'identité n'est pas la similitude, et qu'on ne peut pas fonder l'identité numérique sur l'identité qualitative. Un symptôme n'est pas un critère, et mon cerveau est bien ce sans quoi je ne serais pas moi.

 

Pour conclure, le cœur du problème ne concerne pas tant la notion d'identité dans sa formulation sémantique. L'identité se présente plutôt comme un prisme incomparable pour prendre conscience de notre vision du monde en poussant via des paradoxes, nos concepts familiers à la limite extrême de leur signification.

D'une part, l'identité dépend de nos décisions (objets géographiques, objets fabriqués : identité d'ordre linguistique ou conventionnelle), mais d'autre part, l'identité ne peut pas que dépendre de nos décisions, car dans le cas des objets biologiques, on ne peut pas se satisfaire de dire que l'identité est linguistique ou conventionnelle.

 

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