Foucault - "Une histoire de la manière dont les choses font problème" (1981)


"Une histoire de la manière dont les choses font problème"

 Abrégé résumé de l'entretien de Michel Foucault avec André Berten
(7 mai 1981)

- César Valentine -

 

À partir de Kant, la philosophie s'est posée une nouvelle tâche : dire qui nous sommes, dire ce qu'est notre présent. Dès lors, la question de la philosophie moderne sera la question de l'actualité. Foucauld s'inscrit dans la continuité de cette tradition. 

Il y avait en France dans les années 1950 plusieurs philosophies dominantes :

  1. La phénoménologie
    La phénoménologie se donnait comme tâche l'analyse du concret. Mais ce concret était académique et universitaire, c'était les objets traditionnels de la philosophie (ex : la perception d'un arbre à travers la fenêtre d'un bureau).
    Or selon Foucault, plutôt que faire la description de l'expérience vécue, il faut faire l'analyse des expériences collectives et sociales.
    (Existe-t-il une expérience de la folie caractéristique d'une société ?)
  2. Le marxisme 
    Le marxisme se donnait comme tâche l'analyse historique, mais le savoir historique était finalement laissé de côté, car selon Foucault, l'analyse historique des superstructures ne peut pas rendre compte des rapports de pouvoir. Donc plutôt que faire l'analyse marxiste d'une superstructure du pouvoir, il faut faire l'analyse des institutions et des pratiques.
    (Comment cette expérience de la folie a pu émerger ?)
  3. L'histoire des sciences
    La question était de savoir s'il y a une historicité de la raison, et si on peut faire l'histoire de la vérité.
    On trouve la distinction entre histoire des sciences et généalogie dans le cours “Il faut défendre la société" : l’histoire des sciences fonctionne sur l'axe connaissance-vérité. La généalogie des savoirs fonctionne sur l'axe discours-pouvoir (pratique discursive et affrontement de pouvoir).
    (Comment cette expérience de la folie a pu se constituer comme objet de savoir pour la médecine)

 

Foucault est au croisement de ces différents courants et problèmes. Et à travers l'analyse d'expériences historiques et collectives, son problème est de faire l'histoire de l'émergence d'une connaissance, l'histoire d'un savoir.

(À travers quelles transformations historiques s'est constituée une expérience de la folie dans laquelle il y a à la fois le pôle subjectif de l'expérience de la folie et ce pôle objectif de la maladie mentale ?).

 

De plus, il y a un quatrième domaine dans le cheminement de Foucault : la littérature. Et plus précisément des écrivains comme Blanchot, Artaud, Bataille, qui posent la question des expériences limites : ces expériences frontières à partir de quoi est remis en question ce qui est  d'ordinaire considéré comme acceptable.

 

Le projet de Foucault, c'est donc de faire de l'histoire d'un objet de savoir (ex: la folie), une interrogation sur notre système de raison. Par exemple, poser la question du rapport entre la prison et le système pénal. Pour cela, il faut prendre la prison pour en déduire le système pénal, plutôt que prendre le système pénal pour en déduire la prison. Il faut toujours partir des institutions, des lieux de pouvoirs.

 

La question du pouvoir a été simplifiée dans les analyses philosophiques traditionnelles et dans les analyses marxistes :

  1. Philosophie traditionnelle
    Elle pose la question du fondement de la légitimité du pouvoir politique.
    Mais le pouvoir ne fonctionne pas à partir de son fondement. Il y a des pouvoirs non fondés qui fonctionnent très bien, et des pouvoirs fondés qui n'ont pas fonctionné.
  2. Marxisme
    Il produit l'analyse historique de la superstructure. C'est-à-dire voit le pouvoir comme conservateur ou reproducteur des rapports de production.
    Mais les rapports de pouvoir sont plus profonds que le simple niveau de la superstructure.

 

Foucault veut étudier la manière dont fonctionne le pouvoir dans son effectivité même. 

Le pouvoir, ce n'est pas une instance, ou une espèce de puissance qui serait là, occulte ou visible. Le pouvoir c'est des relations, ce n'est pas une chose. C'est une relation entre deux individus. C'est une relation qui est telle, que l'un peut déterminer la conduite d'un autre, la déterminer volontairement en fonction d'un certain nombre d'objectifs.

Le pouvoir c'est la "gouvernementalité" au sens large, entendue comme ensemble des relations de pouvoir et techniques qui permettent aux relations de pouvoir de s'exercer.

(Comment est-ce qu'on a gouverné les malades, qu'est-ce qu'on en a fait, quel statut on leur a donné, dans quel système de traitement, de surveillance, de philanthropie, économique, les a-t-on placés).

 

Cette gouvernementalité est devenue plus stricte au cours des âges. Au Moyen-Âge ce que les gens faisaient n'était pas important pour l'exercice du pouvoir politique. Alors qu'aujourd'hui le type de consommation des gens est important économiquement et politiquement. Le nombre d'objets qui deviennent objet d'une gouvernementalité réfléchie à l'intérieur de cadres politiques, a considérablement augmenté. 

Cette gouvernementalité ne prend pas forcément la forme de l'enfermement, de la surveillance et du contrôle. Par des interventions subtiles, on parvient à conduire la conduite des gens. C'est tout ce champ de la gouvernementalité que Foucault étudie.

 

Foucault a opéré une sorte de déplacement dans la méthode historique. Premièrement il part de la question de l'actualité. Deuxièmement, il prend comme domaine des points sensibles dans l'actualité. Par "point sensible", il ne faut pas entendre les idées à la mode. Le travail de Foucault c'est de détecter parmi les choses dont on n'a pas encore parlé, celles qui donnent quelques indices de fragilité dans notre système de pensée et dans notre pratique. C'est donc une histoire de l'actualité en train de se dessiner. 

 

Au début des années 70, les discussions sur la réforme du système pénal portaient sur la question théorique du droit de punir et sur la question de l'aménagement du régime pénitentiaire, mais personne n'interrogeait l'espèce d'évidence qui veut que la privation de liberté soit la forme la plus logique, la plus simple, la plus équitable de punir.

L'analyse historique cherche donc à rendre les choses plus fragiles. Elle cherche à montrer la logique des stratégies à l'intérieur desquelles les choses se sont produites. L'analyse historique cherche à montrer que ce ne sont que des stratégies et que, du coup, en changeant de stratégie, en prenant les choses autrement, ce qui paraissait évident ne l'est plus. 

Si l'on parvient à montrer que le rapport à la folie est un rapport historiquement constitué, alors il peut être politiquement détruit. En somme, il y a des possibilités d'action puisque c'est à travers un certain nombre d'actions, de luttes, de conflits, pour répondre un certain nombre de problèmes, qu'on a choisi ces solutions-là.

Déchoir des pratiques de leur statut d'évidence, c'est leur redonner la mobilité qu'elles ont eue et qu'elles doivent toujours avoir dans le champ de nos pratiques.

 

Ça fait plus de 2000 ans qu'on s'interroge sur le fondement du pouvoir politique. La question du fondement du pouvoir est essentielle, c'est la question fondamentale. Mais puisque le fondement fait partie d'un champ historique, tout fondement est relatif. On ne trouve donc pas de fondement, mais il est très important dans une culture comme la nôtre de se poser cette question. 

Foucault fait une analyse de la manière dont un certain nombre de pratiques ont recherché leur propre fondement. Il fait l'histoire des problématisations, c'est-à-dire l'histoire de la manière dont les choses font problème (comment et pourquoi et sur quel mode particulier, la folie a-t-elle fait problème dans le monde moderne ? Et pourquoi c'est devenu un problème important).

 

Foucault ne fait donc ni l'histoire des théories, ni l'histoire des idéologies, ni l'histoire des mentalités, il fait l'histoire des problèmes, la généalogie des problèmes (pourquoi tel type de problème apparaît à un certain moment à propos d'un domaine). 

Par exemple, à propos de la sexualité, la question n'est pas de savoir si c'est le christianisme, la bourgeoisie ou l'industrialisation qui a amené la répression de la sexualité. La répression de la sexualité est intéressante car elle fait souffrir un certain nombre de gens, et qu'elle a toujours existé sous des formes diverses. Donc la question intéressante est de savoir comment et pourquoi le rapport à la sexualité a fait problème, et sous quelle forme il a fait problème. Il est certain que le rapport à la sexualité n'a pas fait problème de la même façon chez les Grecs, chez les chrétiens, à l'âge classique, ou encore maintenant. 

"Comment, dans les pratiques humaines, il y a un moment où en quelques sortes les évidences se brouillent, les lumières s'éteignent, le soir se fait, et où les gens commencent à s'apercevoir qu'ils agissent à l'aveugle et que, par conséquent, il faut une nouvelle lumière. Il faut une nouvelle lumière, il faut un nouvel éclairage, et il faut de nouvelles règles de comportement. Et alors voilà qu'un nouvel objet apparaît, un objet qui apparaît comme problème".




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