Maurice Blanchot - La communauté inavouable (1983)


 

 

Maurice Blanchot : La communauté inavouable
(1983)

Une lecture herméneutique par César Valentine 

Résumé, abrégé

 

 

 

Introduction

Maurice Blanchot publie La Communauté inavouable en 1983. Cet ouvrage interroge ce que pourrait être une communauté qui ne reposerait ni sur une fusion des individus, ni sur une identité partagée, ni sur un projet commun, mais sur l’expérience du manque, de l’altérité et de la finitude.

Le travail qui suit n’est ni un simple abrégé, ni une pure clarification, mais une interprétation, une lecture herméneutique de la première partie du livre « La Communauté négative ». J’ai suivi le texte de manière linéaire, en conservant ses titres de chapitres, afin de respecter la progression de la pensée de Blanchot. Cependant, plutôt que d’en faire un commentaire strictement fidèle, j’ai pris le parti d’un travail d’élargissement : en intégrant la pensée de Georges Bataille, mais aussi en convoquant d’autres figures comme Carl Schmitt, le christianisme, la figure de Jésus, Tank Man ou encore la philosophie cynique, j’ai tenté de prolonger et de déplacer les questions posées par Blanchot.

Cette lecture est donc engagée : elle ne se contente pas d’expliciter le texte, elle propose des pistes d’interprétation personnelles, qui ne prétendent pas être celles de Blanchot. J’ai parfois repris certaines de ses formulations, parfois mot pour mot, sans les signaler systématiquement par des guillemets, afin de mieux intégrer sa pensée dans le mouvement de réflexion.

Il est possible, et même probable, que certains développements s’éloignent de ce que Blanchot entendait précisément montrer. Mais cette tension entre fidélité et dépassement, entre analyse et prolongement, constitue l’essence même de ce travail.

Loin de chercher une conclusion définitive sur La Communauté inavouable, cette lecture vise plutôt à ouvrir le texte, à en révéler des échos inattendus et à le confronter à d’autres horizons philosophiques.

 

 

 

Réflexions préalables

La communauté négative est un lien collectif qui ne repose ni sur une fusion totale ni sur une identité partagée, mais sur la reconnaissance d'un manque (mort, absence, incommunicabilité) que personne ne peut combler seul. Elle ne vise aucune œuvre ni finalité productive, mais se manifeste dans l'exposition mutuelle à ce qui échappe, tel que la finitude et l’altérité.

Dans la communauté négative, il n’y a ni chef, ni « tête », mais une exposition radicale à l’autre. C’est une communauté qui se sait inachevée, et l’impossibilité d’une unité définitive en est la condition même.

 

 

 

L’extériorité et les formes historiques de la communauté

Les communautés ont toujours eu à résoudre la question de l’extérieur, ce « reste » qui les empêche de se refermer sur elles-mêmes. Une communauté ne peut exister sans un principe d’altérité qui lui échappe, mais, paradoxalement, dès qu’elle cherche à intégrer ou à définir ce reste, elle tend à le rigidifier et à s’enfermer dans un modèle clos.

 

Deux grandes figures historiques montrent comment ce rapport à l’extériorité a pu être structuré : le christianisme et la pensée de Carl Schmitt.

 

Le christianisme et l’extériorité transcendante

Le christianisme a conçu l’extériorité sous la forme d’un au-delà, d’un monde divin qui donne à la communauté un horizon hors d’elle-même. Cet au-delà, cependant, n’est pas immédiatement accessible : il est médiatisé par l’institution religieuse, structuré par un régime d’obligations morales, de crainte et d’espérance. Il ne peut être atteint que par la mort, ce qui place la communauté chrétienne dans un rapport d’attente et de soumission à une extériorité différée.

(Toutefois, la question de la béatitude apporte une nuance. Elle introduit l’idée que cet accès à l’extériorité pourrait être immédiat, vécu ici et maintenant, mais seulement sous une forme incommunicable. De plus, ce qui est vécu dans l’expérience mystique ne peut être partagé et remémoré autrement que sous le régime du souvenir et de l’objectivité)

 

Carl Schmitt et l’extériorité hostile

Carl Schmitt propose une autre manière de penser l’extériorité : non plus comme un au-delà, mais comme un ennemi. Dans sa théorie du politique, la communauté se définit par une opposition fondamentale entre l’ami et l’ennemi. L’extériorité est donc immédiatement donnée, mais sous la forme du conflit.

Dans cette perspective, la communauté se construit sur une hostilité structurante. L’ennemi n’est pas simplement un individu extérieur, mais une figure nécessaire, car c’est en s’opposant à lui que la communauté se constitue. Cependant, ce modèle présente une rigidité propre : se rapprocher de l’ennemi, c’est devenir ennemi de la communauté. L’extérieur n’est donc pas un espace d’ouverture, mais un point de fixation qui enferme la communauté dans une guerre permanente.

 

L’impasse des médiations figées

Dans ces deux cas, l’extériorité est pensée, mais toujours sous un mode figé et organisé :

  • Dans la religion, l’au-delà est une promesse qui reste inaccessible dans cette vie, et son rapport à la communauté est régulé par des institutions qui en codifient l’accès.
  • Chez Schmitt, l’extériorité est immédiatement présente, mais sous la forme d’un antagonisme irréductible.

 

Dans les deux cas, une frustration demeure : l’extériorité n'est pas un espace vivant d’altération et de transformation. Il est un principe immuable, encadré par des structures de savoir rigides.

Or, si une communauté veut préserver son ouverture, elle ne peut jamais s’identifier totalement à elle-même. Elle doit être traversée par un « reste » qu’elle ne peut ni absorber ni définir entièrement. C’est ce « reste » qui l’empêche de se refermer, qui maintient en elle une possibilité de renouvellement et qui évite qu’elle ne bascule dans une forme d’ordre totalisant.

Il y a donc une tension : comment être dans une communauté sans y être enfermé ?

 

 

Communauté et communisme

Si toute communauté est traversée par un reste, comment le communisme a-t-il affronté cette question ? À première vue, il pourrait sembler qu’un projet communiste soit celui qui assume le mieux l’idée de communauté, en cherchant à abolir les divisions de classe et à créer un espace totalement partagé. Pourtant, le communisme s’est toujours heurté à une tension insoluble : il prétend réaliser la communauté totale, mais son refus de toute extériorité conduit paradoxalement à son échec (cette difficulté a été soulevée par Marx lui-même).

 

L’ambiguïté du communisme : inclusion totale ou exclusion radicale ?

Le communisme repose sur une promesse d’inclusion universelle : une communauté sans division, où l’ensemble des rapports sociaux est intégré dans un même mouvement historique. L’extériorité, ici, ne doit plus exister. Plus de « reste », plus de séparation : tout est censé être absorbé dans la communauté humaine.

Mais en niant toute altérité, le communisme génère une contradiction interne. Puisqu’il ne tolère aucun extérieur, toute résistance ou divergence devient une menace. Il ne peut alors fonctionner qu’en produisant sa propre extériorité sous une autre forme : l’ennemi intérieur (Il faudrait également ici réfléchir à la question du racisme. On trouvera des pistes chez Foucault dans son cours au collège de France « il faut défendre la société »). 

Toute communauté cherche à s’organiser, mais une communauté qui refuse l'extériorité finit par fabriquer un adversaire interne à éliminer. C’est ainsi que les régimes communistes ont souvent basculé dans des logiques d’épuration et de répression, voyant dans chaque dissidence une fracture insupportable.

 

L’homme sans extériorité : une illusion totalisante

Mais même si le communisme a échoué et nous a déçus, il continue de nous concerner, car ses idéaux d’égalité et de communauté nous apparaissent primordiaux. Pourtant, il a montré qu’il ne pouvait se réaliser sans violence, engendrant une tension permanente entre espoir et désillusion, désenchantement, voire épuisement.

Si l’humanité est conçue comme entièrement immanente et sans reste, c’est-à-dire auto-créée et sans rien d’extérieur pour la façonner, alors elle prétend tout contrôler et englober. En refusant tout ce qui lui échappe (pas de reste), elle adopte une logique où toute différence est niée. Chaque individu ne dépend alors que de lui-même, se ferme à l’altérité et s’ouvre à la répétition infinie de lui-même.

Cela conduit à une individualité à la fois mortelle et immortelle. Mortelle, car cet être est de chair, naît, vit et meurt ; immortelle, car il se pense comme une pure idée, hors du temps et de la matière. Il s’imagine exister en dehors de tout ce qui pourrait l’atteindre physiquement ou le faire changer.

 

Deux conséquences apparaissent alors :

  • L’individu devient une pure fonction sociale, entièrement déterminée par les structures économiques et politiques. Il n’a plus d’existence propre en dehors du collectif.
  • À l’inverse, il peut aussi se croire entièrement autonome, sans rien au-delà de lui-même pour le limiter ou le définir.

 

C’est ici que la logique de Sade devient inattaquable : si plus rien ne dépasse l’individu, si aucune altérité ne vient freiner ou orienter son désir, alors la seule loi qui subsiste est celle de la souveraineté absolue du désir individuel. Cette souveraineté, paradoxalement, rejoint alors l’ultra-individualisme.

 

Communisme et individualisme : une étrange réciprocité

On pourrait penser que le communisme et l’individualisme sont des opposés absolus, mais en réalité, ils se rejoignent dans leur rapport à l’extériorité : tous deux refusent un reste.

  • Le communisme refuse l’extérieur collectif : il veut intégrer toute société en un bloc homogène.
  • L’individualisme refuse l’extérieur personnel : il veut s’auto-engendrer sans dépendre d’un autre.

Dans les deux cas, on nie la nécessité d’un hors-de-soi, et c’est précisément cette négation qui mène à une fermeture.

Si la communauté ne peut exister sans une extériorité, alors toute tentative d’abolir l’extériorité finit par engendrer une impasse. C’est cette impossibilité même qui nous oblige à repenser la communauté autrement : non plus comme un tout à réaliser, mais comme un espace où l’extériorité est maintenue et reconnue.

 

 

 

L’exigence communautaire

Si la communauté ne peut jamais être totalement close, alors que signifie réellement « être en communauté » ? Cette question engage une réflexion plus fondamentale : la communauté est-elle une forme d’unité possible, ou repose-t-elle toujours sur une impossibilité ?

 

La communauté ne pose-t-elle pas toujours à la fin l'absence de communauté ?

On pourrait penser qu’une communauté véritable suppose une intégration complète de ses membres, une forme de communion où chacun se trouve pleinement inclus. Pourtant, ce modèle ne tient pas. Toute tentative d’abolir la séparation, de réaliser une fusion totale, aboutit soit à une illusion, soit à une destruction.

Si la communauté repose sur un « reste », une part d’extériorité inassimilable, alors elle ne peut jamais être une totalité achevée. Elle fonctionne à partir de son propre manque. C’est cette incomplétude qui, paradoxalement, la fait exister.

Ainsi, peut-être faut-il envisager que la communauté n’est pas un « être-ensemble » homogène, mais plutôt une coexistence de solitudes, une manière d’être liés tout en demeurant séparés.

 

Le « reste » comme condition du lien

Loin d’être un obstacle, cette altérité interne est ce qui rend la communauté possible. Si la communauté n'était qu'une fusion, elle cesserait d'être une communauté pour devenir une simple unité close. Or, ce qui nous relie, c’est justement ce que nous ne pouvons pas partager totalement.

 

Vers une autre manière de penser la communauté

La communauté ne peut donc être pensée comme un idéal achevé, mais comme un mouvement perpétuel :

  • Elle n’existe que dans la reconnaissance d’un reste, d’un extérieur inassimilable.
  • Elle ne repose pas sur une fusion, mais sur une altérité acceptée.
  • Elle n’est pas un projet défini, mais une mise en tension constante.

 

Si toute communauté repose sur une part d’incommunicable, alors son enjeu n’est pas de la supprimer, mais de la reconnaître. Il ne s’agit plus de réaliser une communauté parfaite, mais d’assumer l’impossibilité même de cette perfection.

 

 

 

Le principe d’incomplétude

Pourquoi cherchons-nous à constituer des communautés ? Parce que les êtres humains sont incomplets. Ils ne se suffisent pas à eux-mêmes. 

 

L’autre comme révélation du manque

Cette incomplétude ne signifie pas que l’autre viendrait nous compléter. L’autre n’est pas ce qui me comble, mais ce qui rend visible mon propre manque. L’autre est ce que nous ne pourrons jamais devenir. Ainsi, nous ne faisons l’expérience de la solitude que si un autre est là pour la rendre perceptible. Ce qui fait dire à Blanchot que tout seul, il n’y a pas de solitude.

 

La reconnaissance et la contestation

On pourrait croire que l’être cherche avant tout la reconnaissance d’autrui pour exister pleinement. Mais cette reconnaissance est toujours en tension :

  • Être reconnu signifie être identifié, enfermé dans un rôle, une place.
  • Or, l’identité ne se stabilise jamais totalement. Ce qui fait exister un individu, c’est moins d’être reconnu que d’être contesté.

 

Une communauté finie, non un infini absorbant

Ainsi, pour exister, un individu a besoin d’un autre que lui-même, ou de plusieurs autres. Mais ces autres doivent être en nombre défini, car autrement, il serait renvoyé à un infini qui rendrait son existence impossible. Cette nécessité d’un nombre d’êtres défini est précisément l’appel d’une communauté finie.

 

 

 

Communion ?

À première vue, la communauté semble être une fusion des individus. Mais si une fusion totale avait lieu, la communauté disparaîtrait : elle ne serait plus qu’un bloc où l’altérité aurait disparu. En admettant qu'une telle fusion soit possible, il en résulterait une nouvelle unité qui s'exposerait alors au même objections que celle concernant l'individu seul : l'incomplétude.

C’est pourquoi Maurice Blanchot parle de communauté négative : la communauté n’est ni une communion ni une fusion.

 

L’altérité comme principe structurant

Ce qui me fait exister pleinement n’est pas le fait d’être confirmé dans mon identité par autrui, mais la confrontation avec ce qui me résiste.

  • Le fait d'être validé par autrui efface cette confrontation et enferme l’individu dans une identité figée.
  • La séparation, au contraire, maintient en mouvement, dans une dynamique vivante.

Une communauté qui cherche à réaliser une communion absolue devient une illusion totalitaire, car elle nie la différence au nom d’une unité idéalisée.

 

Une communauté de confrontation, pas d’absorption

Si la communauté n’est pas communion, alors elle repose sur autre chose :

  • Non pas une fusion, mais une exposition mutuelle.
  • Non pas une absorption de l’autre, mais une tension maintenue avec l’altérité.

C’est cette mise en tension qui permet à une communauté d’exister sans devenir une masse indistincte.

 

Le danger du légalisme

En somme, la fusion promet une reconnaissance totale, mais elle impose en réalité une validation qui fige l’identité de chacun. La loi, dans ce cadre, fonctionne comme une validation : elle fixe ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, ce qui est reconnu et ce qui est exclu. De sorte que la loi enferme autant qu’elle protège. 

Ce problème est connu en philosophie sous le nom de problème du légalisme (le légal est identifié au juste) : la loi, censée structurer la communauté, peut paradoxalement la figer et en limiter l'ouverture, à partir du moment où le légal est identifié au juste. 

À partir du moment où le légal est identifié au juste, il s’installe une équivalence rigide : ce qui est légal est juste, et ce qui est illégal est nécessairement injuste. Cette position conduit à penser que toutes les lois sont justes par nature, sans questionner leur légitimité. Pourtant, l’histoire montre que des lois parfaitement légales ont pu être profondément injustes : les lois ségrégationnistes aux États-Unis, par exemple, interdisaient aux Noirs et aux Blancs de fréquenter les mêmes écoles ou les mêmes lieux publics. Pendant des décennies, ces lois étaient considérées comme le cadre normal du vivre-ensemble, leur légalité servant de justification à leur prétendue justesse. Ce n’est qu’en les remettant en cause qu’il est apparu que le légal n’est pas toujours synonyme de juste.

 

 

 

L’entrée en communauté

Si la communauté n’est ni une fusion totale, ni une simple coexistence d’individus isolés, alors comment y entre-t-on ? Comment un individu passe-t-il du statut d’être seul à celui de membre d’une communauté ?

Deux mouvements semblent à première vue structurer ce passage : l’Éros et l’Ascèse.

 

L’entrée par Éros : le ravissement vers l’autre

L’un des chemins vers la communauté passe par un mouvement de ravissement, une attraction irrésistible qui pousse vers l’autre. L’Éros est cette dynamique qui fait que l’individu est saisi par un désir de lien, un appel à se laisser emporter par quelque chose qui le dépasse.

 

L’entrée par l’Ascèse : la mise en jeu de sa propre insuffisance

À l’opposé du mouvement de l’Éros, l’Ascèse suit un chemin plus lent, plus intérieur. Il ne s’agit plus d’un ravissement vers l’autre, mais d’un travail sur soi, d’une transformation progressive qui prépare l’individu à l’expérience de la communauté.

 

La communauté n'est ni Eros ni à ascèse 

Si ces deux voies peuvent sembler mener à la communauté, elle ne suffisent pas à la fonder.

  • La communauté n’est pas une simple extase (Eros). Elle ne repose pas sur un ravissement passionnel où l'individu se perd dans l'autre.
  • La communauté n'est pas une dissolution des individus dans une unité supérieure (Askesis).La communauté ne repose pas sur une volonté commune rationnelle d'être ensemble (principe utilitariste).

 

L’insuffisance, qui est à la base de tout être, n’est pas une insuffisance à subsister. Autrement dit, la communauté n’a pas besoin d’entraide. 

L’entraide existe dans les sociétés animales, mais elle ne suffit pas à fonder une communauté. Ce qui fait la communauté n'est pas une coopération fonctionnelle, un simple partage de tâches ou une organisation collective. Elle repose sur autre chose, quelque chose qui ne peut se réduire ni au désir ni à l’ascèse, ni à l'utilité.

 

 

 

La mort d’autrui

Ce qui fonde la communauté, ce sont les morts et les naissances des autres : l’événement premier et dernier. Ce n’est pas la conscience de ma propre mort qui me déstabilise le plus, mais plutôt le fait que des êtres proches, extérieurs à moi, meurent. Dans la mort de l’autre, je suis impliqué et pourtant impuissant : je meurs avec toi, mais sans toi.

Ce « avec toi, sans toi » est l’axiome de la communauté. Il exprime cette contradiction fondamentale : on partage ce qui ne peut pas être partagé. La solitude demeure irréductible, et c’est précisément sa reconnaissance mutuelle qui fait naître une communauté. Non pas en fusionnant, mais en acceptant de demeurer dans l’écart. La séparation est paradoxalement ce qui nous relie. 

« Avec toi, sans toi » désigne donc un lien sans fusion, où la proximité et la distance coexistent. C’est là le principe de la communauté négative : elle ne cherche pas à abolir les différences, mais à faire de l’impossible partage (la mort, la solitude) la source même de son lien.

(À l’inverse, on voit des communautés qui tentent de produire la fusion lorsque les disciples, refusant l’écart, suivent le maître jusque dans la tombe. Ils tentent de nier cette contradiction, ce qui témoigne justement de son caractère inévitable.)

 

 

 

Communauté et désœuvrement

La mort est la communauté des êtres mortels. La mort fait de nous des êtres mortels, et c’est autour de cette condition partagée que la communauté prend sens. Elle n’est pas une simple appartenance sociale (comme un club ou un groupe d’intérêts), mais un lien qui touche à l’expérience limite : l’impossibilité de vivre la mort de l’autre et, pourtant, le fait d’y être profondément impliqué.

Une véritable communauté, au sens où l’entend Blanchot, ne se réalise pas dans la fusion. Au contraire, c’est l’incommunicable (la mort, la solitude) qui relie sans absorber. Nous ne faisons pas la communauté comme on bâtirait un projet ; elle n’a pas de but utilitaire (produire, influencer, défendre un intérêt). 

Son enjeu est plus radical : accompagner l’autre jusqu’au bout, jusqu’à la mort, pour qu’il ne soit pas seul à cet instant impossible à partager. Rendre service aux autres jusque dans la mort, et que les autres nous rendent service jusque dans notre propre mort. En somme, aider à mourir et être aidé à mourir.

Ce lien est donc gratuit, un « faire sans œuvre » : il ne vise aucune production ou finalité extérieure, mais consiste à être là, à porter la solitude à plusieurs sans la dissoudre. Le lien n'est pas finalisé par une œuvre, mais par un service : faire en sorte que l’autre ne soit pas seul dans ce moment impossible à partager. Ainsi, la « substitution mortelle » (être présent, accompagner, témoigner) remplace l'idée d’une communion totale : on est ensemble, sans se confondre. La solitude est portée à deux, ou plus.

La communauté est donc un lien sans fusion, fondé sur l’acceptation de l’impossible partage plutôt que sur l’espoir d’unité. Elle s’éprouve dans la reconnaissance mutuelle de notre finitude, plutôt que dans la poursuite d’une œuvre commune. 

 

 

 

Communauté et écriture

La communauté n’est pas le lieu de la souveraineté politique : nous sommes tous égaux devant la mort et cette égalité nous dépossède de toute forme de maîtrise. Et puisqu'elle est fondée sur notre nature mortelle, la communauté n’est pas un espace maîtrisé. Ce n’est pas un espace où l’on exerce un pouvoir, mais d’un espace d’exposition.

La communauté est ouverte sur ce qui échappe : la mort, la parole, l’écriture. Elle donne lieu à un discours qui n’est pas parfaitement communicable, une parole qui ouvre sur une interprétation. On parle ou écrit sans garantie d’être entendu ou compris. Et pourtant, cela est nécessaire.

Parler ou écrire relève d’un don dont je ne maîtrise pas la réception. Je m’expose à être rejeté, mal compris ou ignoré. Mais je ne peux me soustraire à ce risque, car c’est là que se situe la relation à l’autre.

La communauté n’est donc pas fusion, mais exposition. Elle n’est pas une voix unique, mais une multiplicité de voix qui s’appellent sans se fondre dans un sens commun.

Cette parole en pure perte, cet appel : « viens » (ni une prière, ni un ordre, ni une demande) a un caractère apocalyptique, car il vise à dévoiler quelque chose d’extrême : la mort, l’indicible. 

Et c'est précisément ce qu'est l’écriture : un appel sans garantie, la possibilité de s’adresser à l’autre qui peut ne pas répondre. C’est cet échec possible qui maintient l’espace du lien ouvert : s’il y avait garantie de compréhension ou de fusion, il n’y aurait plus d’altérité – donc plus de véritable écriture, ni de véritable parole.

Cette dimension a un caractère apocalyptique : elle rend visible l’échec qui sous-tend tout discours. Mais c’est paradoxalement parce que nous ne pouvons jamais tout saisir ou tout communiquer que nous continuons à parler et à écrire. En ce sens, la communauté est un espace d’inachèvement assumé, où l’on vit ensemble l’ouverture radicale de la parole, plutôt que d’en attendre un accord complet.

Ainsi, la communauté ne repose pas sur une fusion qui abolirait la distance, mais sur une exposition mutuelle à l’intraduisible. L’écriture est un don en pure perte. Le « viens » est l’invitation radicale.

Vivre la communauté, c’est assumer l’inachèvement et l’incertitude.

 

 

 

Sacrifice et abandon

Le don est abandon. Donner, c’est renoncer. Un véritable don implique une perte absolue, sans attente de retour, sans calcul ni protection. Celui qui donne s’expose entièrement, jusqu’à se déposséder non seulement de ce qu’il offre, mais aussi de lui-même en tant que donateur.

Dans cet abandon total, où rien n’est retenu, surgit une exigence d’infini : un espace silencieux où le don, libéré de toute mesure, touche à quelque chose qui dépasse l’échange et l’intérêt. Il ne s’agit plus simplement de donner un objet, une aide ou un service, mais de se démettre de soi, de consentir à une vulnérabilité sans réserve.

Cette logique du sacrifice, loin de toute idée de meurtre ou de contrainte, met en jeu la démesure du don : plus rien n’est calculé, plus rien n’est retenu en arrière. Ce qui se donne alors outrepasse la sphère de l’utilité pour ouvrir sur un au-delà, un champ où la perte et l’oubli de soi deviennent paradoxalement la source d’une présence à l’autre.

 

 

 

L’expérience intérieure

La loi de la communauté est le renoncement à faire œuvre : le projet essentiel est l’exclusion de tout projet. Dans cette communauté négative, le sacrifice n’est pas un meurtre, mais un don et un abandon, où l’on se dépouille de tout calcul. On peut songer, à ce titre, à la figure de Jésus comme abandon infini : offrir sa vie sans réserve, sans conserver un reste pour soi.

De la même façon, la communauté prend forme lorsque l’on partage ce qui est, en principe, incommunicable. Il ne s’agit pas de fusionner, mais de s’exposer : devenir vulnérable à ce qui nous dépasse. Ainsi, la communauté négative n’est ni une sous-société dans la société, ni une communion totale. Elle est un lieu où chacun demeure lui-même tout en étant transformé par l’autre, dans l’épreuve d’une limite commune qu’il est impossible de résoudre une fois pour toutes.

 

L’intimité comme exposition à l’extérieur

On conçoit souvent l’intimité comme un espace intérieur, un domaine personnel et clos. Pourtant, l’intimité surgit précisément quand l’individu cesse de se vivre comme un pur moi autonome. La mort de l’autre, l’amitié et l’amour nous mettent en contact avec une dimension qui nous arrache à nous-mêmes. Je ne suis plus uniquement moi : je suis en rapport avec ce qui m’échappe, affecté par ce qui me dépasse.

De fait, le sujet n’a pas de frontière nette. Être en amitié, en amour ou face à la mort des autres, c’est être projeté dans un dehors que l’on ne contrôle pas. Pourtant, cela ne fait pas disparaître le sujet ; au contraire, cette altérité le maintient en tension. Dans la communauté, on demeure pris entre l’expérience d’être soi et l’appel vers ce qui nous dépasse.

 

Le sujet comme tension

Devenir sujet implique d’accepter cette tension avec le dehors, sans s’enfermer dans une identité close. Être sujet, c’est être sous tension. L’écart entre moi et ce qui n’est pas moi (l’autre, la mort, l’amour) m’affecte et m’oblige à me définir. Une communauté qui refuserait toute extériorité empêcherait cet écart de se déployer, et bloquerait ainsi l’émergence d’un sujet capable de se confronter à l’autre.

Accepter la tension du dehors, c’est assumer une responsabilité. Car si tout était sous contrôle, la responsabilité n’aurait plus lieu d’être. Cette tension crée un imprévisible qui appelle une réponse : être responsable. Être responsable, c’est prendre en charge ce qui nous échappe, quelque chose de fondamentalement autre. Lorsque cette tension disparaît, la responsabilité s’éteint avec elle.

 

 

 

Responsabilité et souveraineté

La responsabilité dont il est question ici s’apparente à une souveraineté existentielle. Elle se distingue de la souveraineté politique, qui suppose l’exercice d’un pouvoir sur autrui. Au contraire, la souveraineté existentielle repose sur la capacité à accueillir ce qui échappe à toute maîtrise. C’est une rencontre radicale avec le dehors, car le souverain est précisément celui qui n’est entouré que de dehors — c’est-à-dire de ce qui échappe à toute maîtrise. Non pas parce qu'aucune maîtrise n'est possible, mais parce que ce dehors, toujours en excès, ne se laisse jamais totalement saisir.

Ainsi, responsabilité et souveraineté se rejoignent : être sujet, c’est accepter cette position de tension avec le dehors. Reconnaître que ce qui nous dépasse nous met en question et nous oblige à répondre. Une telle souveraineté implique un don, un abandon de soi, où le véritable souverain ne s’affirme pas par la prise de pouvoir, mais par une ouverture absolue à ce qui le traverse. C’est dans ce sens qu’on peut dire : « Jésus est le Seigneur », le souverain qui n’exerce pas une domination extérieure, mais offre sa vie dans un geste de disponibilité infinie.

Le manifestant de Tian’anmen, comme Diogène face à Alexandre, illustre cette union entre responsabilité et souveraineté. Le 5 juin 1989, au lendemain du massacre des manifestants pour la démocratie, un homme anonyme se dresse seul devant une colonne de chars sur l’avenue Chang’an. Sans arme, sans protection, il fait face au pouvoir absolu, arrêtant les blindés par sa seule présence. Lorsque le char tente de le contourner, il se déplace à nouveau pour lui barrer la route. Pendant quelques instants, un homme sans armes contraint une machine de guerre à s’arrêter.

Ce geste incarne à la fois la souveraineté et la responsabilité. Souverain, parce qu’il prend sur lui une décision qui ne dépend que de lui, et responsable, parce qu’il n’agit pas pour lui-même, mais pour tous. Il occupe une place unique, celle de la confrontation directe au pouvoir par l’engagement de son propre corps. En ce sens, il ne reçoit pas son autorité d’un ordre établi : il la crée par l’acte même.

Comme Diogène répondant à Alexandre « Pousse-toi de mon soleil », Tank Man impose une autorité sans armes, par la seule affirmation de sa présence. La véritable souveraineté ne se mesure pas en termes de pouvoir, mais en capacité à répondre. Tank Man se tient là où personne ne peut se tenir à sa place : maître de lui-même parce qu’il n’obéit à rien d’autre qu’à sa propre décision. En assumant seul, il devient souverain.

 

Le parallèle cynique selon Foucault

En s’appuyant sur les analyses de Michel Foucault dans Le Courage de la vérité, on voit comment la tradition cynique éclaire la figure de Tank Man. C’est justement parce qu’il est illégitime qu’il devient légitime. Au moment précis où il stoppe la progression des chars, il devient roi : le seul vrai roi. Ne possédant ni arme ni protection, ne possédant rien, il devient roi de tout. Et parce qu’il est roi, il s’occupe des autres, car c’est précisément pour eux qu’il s’est mis devant les chars, plaçant son corps entre le danger et ceux qu’il défend. Il ne donne pas des conseils, il se bat. Il est devenu le véritable souverain.

 

 

 

L’expérience intérieure : ouverture sur l'autre 

L’expérience intérieure ne peut pas se réduire à une aventure solitaire. Elle n'est pas un repli sur soi mais une ouverture sur l’autre. Ainsi, si je veux que ma vie ait un sens pour moi, il faut qu’elle en ait également pour autrui.

De la même manière, le lecteur n’est pas un spectateur neutre face à ce qu’il lit. Il n’est pas simplement libre de recevoir ou d’ignorer le texte : il est déjà impliqué, attendu, voire troublé par ce qui s’adresse à lui. Il est à la fois désiré et inconnu, reconnu et pourtant insaisissable. Il ne peut jamais totalement savoir ce qu’il sait, ni ignorer ce qu’il ignore. Son rapport au texte est similaire à la relation à autrui : ni fusion, ni simple indifférence, mais une rencontre incertaine où rien n’est garanti.

« Celui pour qui j’écris demeure fondamentalement un inconnu. »

D’où l’anonymat du livre : il ne s’adresse à personne en particulier, et pourtant il ouvre une relation avec cet inconnu qu’est tout lecteur possible. C’est dans cette relation incertaine que se forme, selon Georges Bataille, la communauté négative — une communauté paradoxale : la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté, de ceux qui partagent l’absence d’un lien fixe et défini.

Ce paradoxe révèle que l’expérience intérieure est toujours tournée vers l’extérieur : elle n’est pas un monologue clos, mais un mouvement qui appelle l’autre, sans jamais pouvoir le saisir pleinement. L’œuvre ou le texte, comme le geste communautaire lui-même, est un don en pure perte, un appel lancé sans garantie de réponse.

C’est pourquoi la communauté négative se tient à la frontière d’une impossibilité et d’une ouverture permanente. Ses membres ne partagent pas une identité commune, mais l’absence de cette identité ; ils ne forment pas un groupe soudé, mais un espace d’exposition réciproque — là où parler, écrire, vivre, reviennent à solliciter un lecteur ou un autre qui demeure inconnu, susceptible de répondre ou de se dérober.

Ainsi, l’expérience intérieure ne s’achève pas dans le silence du repli. Elle nous mène vers l’autre dans une tension inachevée, une relance continuelle de la parole, de l’écriture et de la présence à autrui, toujours menacées de malentendu ou d’échec, et pourtant indispensables.

 

 

 

Le cœur ou la loi

Chez Georges Bataille, il y a un geste extrême qui cherche à contester la souveraineté, non pour lui en substituer une autre, mais pour ouvrir une brèche dans toute maîtrise. Cela dans l’espoir d’ouvrir la voie à une communication véritablement majeure. Cette absence de toute maîtrise implique qu'on ne maîtrise pas la communication, on s'expose à elle. Cette communication véritable dont parle Blanchot, ne passe pas d’abord par la parole. Son fondement est plus essentiel : c’est l’exposition à la mort, non pas la mienne, mais celle d’autrui. 

Il est vrai que nous pouvons manier la communication comme un ensemble de techniques ou de stratégies (rhétoriques, médiatiques, diplomatiques, etc.). Mais pour Bataille et Blanchot, une telle approche reste en deçà de la “communication majeure”, celle qui engage l’être même de ceux qui communiquent. La communication véritable ne se réduit pas à une circulation d’informations : elle met en jeu l’existence, au-delà de tout contrôle. Au lieu de la manier, on s’y expose. Cela implique un risque – celui d’être incompris, ignoré, voire trahi – et c’est dans cette vulnérabilité même que se joue la possibilité d’une rencontre plus radicale. Renoncer à vouloir tout maîtriser, c’est accepter de se livrer à ce qui, dans la communication, ne dépend plus de nous et peut nous transformer en profondeur. La communication est donc toujours un pari, un abandon de soi : un don.

Dans la même logique, le geste de Tank Man à Tian’anmen incarne cette « communication majeure ». En se plaçant seul devant les chars, il renonce à toute forme de contrôle ou de stratégie — il n’a ni arme, ni protection, ni programme préétabli. Il se met en péril total, acceptant la vulnérabilité extrême pour s’adresser à l’autre (les soldats, mais aussi la foule et, au-delà, le monde entier) d’une manière qui échappe à tout calcul. Ce pari radical transforme la scène : Tank Man devient « souverain » pour un instant, non par une maîtrise ou un pouvoir, mais parce qu’il fait don de lui-même, s’exposant intégralement. Certes, son geste sera vite interrompu et réprimé, mais durant ce bref moment, il montre comment la communication véritable peut s’opérer dans le don radical de soi.

Il y a là une inversion profonde : au terme d’une destruction radicale de la maîtrise, on trouve paradoxalement une souveraineté nouvelle. Ce n’est pas la souveraineté du roi qui dispose de tout, mais celle de l’anti-roi, démuni de toute protection ou institution. Dans le geste où il se « dénude », se met en péril sans rien pour le défendre, il devient le véritable souverain. Il n’impose pas son pouvoir par la violence et la peur, mais par une offrande intégrale de lui-même, si bien qu’en renonçant à toute maîtrise, il devient — pour un bref instant — celui qui incarne la plus haute forme de maîtrise, celle qui naît du risque partagé et du don.

On retrouve là un écho de la figure de Jésus, souvent décrite comme celle du « roi des rois » qui, pourtant, se présente démuni de toute richesse ou de tout pouvoir terrestre. Il est l’anti-roi par excellence : celui qui ne conquiert pas par la force, mais par l’abandon de soi. Couronné d’épines (la couronne à l'envers), crucifié, il incarne un souverain privé de maîtrise apparente — et c’est précisément dans cette vulnérabilité qu’il révèle une souveraineté d’un autre ordre. De même, Tank Man, en se dépouillant de tout moyen de défense, atteint ce point paradoxal où la perte totale de contrôle devient le lieu d’une souveraineté nouvelle. Son autorité naît de son offrande intégrale, de son acceptation du risque absolu, à l’image de cet « anti-roi » qu’on retrouve dans le christianisme : un roi qui règne non pas en dominant, mais en se donnant.

C’est sous la menace constante de la disparition que l’amitié se construit, prête à se dissoudre à chaque instant. L'amitié ne repose pas sur une certitude, mais sur un risque, celui de l’absence. En cela, elle révèle non seulement l’inconnu que nous sommes pour nous-mêmes, mais aussi la solitude fondamentale qui nous traverse. Toutefois, cette solitude n’est jamais purement individuelle : elle n’existe qu’à travers le lien à l’autre, ce lien qui nous empêche de nous refermer totalement sur nous-mêmes. Car nul ne peut, seul, aller au bout de l’extrême.

À travers toutes ses épreuves, Georges Bataille a découvert que la communauté ne le soignait pas de son sentiment de solitude. Au contraire, cette exposition à la solitude est le principe même de la communauté : la communauté, loin d’être une fusion, repose sur la reconnaissance d’une impossibilité à fusionner pleinement nos vies, nos consciences, nos solitudes. Autrement dit, la communauté ne nous protège pas de la solitude, elle n’est pas un remède, mais le lieu où nous y sommes exposés. C’est ce que Blanchot nomme, à la fin de La Communauté négative, « le cœur ou la loi » de la fraternité : cette confrontation à la solitude est au cœur même du lien amical.

En d’autres termes, la fraternité n’est pas la fin de la solitude, mais la reconnaissance que nous demeurons seuls, tout en portant ensemble cette solitude. On pourrait voir dans le « cœur » un mouvement du corps, une vulnérabilité, et dans la « loi » un mouvement de l’esprit, une structure ou une rigueur imposée ; toutefois, la distinction reste à approfondir. 

Dans la fraternité traditionnelle, on imagine souvent les amis comme un tout qui se complète et se protège. Mais pour Blanchot et Bataille, la fraternité n’est pas un tel refuge, elle n'est pas la fin la solitude mais la reconnaissance que chacun demeure seul. Reconnaître cette solitude de l'autre et l'assumer ensemble, c'est précisément ce qui nous relie.

La communauté n’est pas là pour nous guérir de notre solitude, mais pour nous faire réaliser qu’elle est constitutive de l’être humain. Cette prise de conscience n’est pas un défaut : c’est le principe de la communauté, puisque nous sommes unis dans la reconnaissance d’une solitude que chacun ne peut ni fuir ni partager totalement. 

Nous ne sommes donc pas ensemble pour combler notre solitude, mais pour éprouver ensemble l’impossibilité de la combler. C’est cette impossibilité reconnue et vécue en commun qui fait naître la possibilité paradoxale d’un lien — un lien qui repose sur l’écart plutôt que sur la fusion, et sur l’exigence d’une parole ou d’un geste qui ne pourra jamais tout dire, mais qui n’en demeure pas moins essentiel.

 

 

 

 

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