Rosenzweig - L'étoile de la rédemption (1918)


L'ÉTOILE DE LA RÉDEMPTION

Franz Rosenzweig

(écrit en 1918-1919 - publié en 1921)

Abrégé de César Valentine

 

© César Valentine, 2025. Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation.




Introduction

L'Étoile de la Rédemption est l’œuvre majeure du philosophe juif allemand Franz Rosenzweig (1886 - 1929), publiée en 1921. Ce texte est à la croisée de la philosophie et de la théologie. Rosenzweig développe l'idée d'une relation entre trois éléments : Dieu, le Monde et l’Homme.

Il a écrit son livre alors qu’il servait comme soldat pendant la Première Guerre mondiale en rédigeant les premières idées de son système philosophique sur des cartes postales envoyées à des proches ! Cette situation d’extrême précarité et la menace constante de la mort explique peut-être l’un des thèmes fondamentaux du livre : la mort n'est pas un simple néant mais un point de départ.

L'étoile de la rédemption est structuré en trois parties. Cet abrégé se concentre sur la première partie qui constitue l’un des trois grands ensembles du livre. Cette première partie est elle-même divisée en trois livres : le premier traite de Dieu, le deuxième du monde, et le troisième de l’homme. Dans les parties suivantes (que je n'ai pas résumé, mais peut-être que je m'y collerai un de ces jours), il montre la manière dont Dieu, le Monde et l’Homme entrent en relation à travers la révélation et la rédemption.





PREMIÈRE PARTIE

LES ÉLÉMENTS OU LE PERPÉTUEL PRÉ-MONDE

 

 

INTRODUCTION

De la possibilité de connaître le Tout


 

De la mort

Toute connaissance dépend de la crainte de la mort. La philosophie, en cherchant à supprimer l’angoisse de mourir, trompe l’homme en construisant l’idée du Tout, car un Tout ne peut mourir. Seul le singulier peut mourir ; tout ce qui est mortel est donc solitaire.

C’est parce que la philosophie doit exclure du monde ce singulier qu’elle ne peut être qu’idéaliste : l’idéalisme refuse de distinguer le singulier du Tout. La mort y devient une simple disparition dans le Tout, un néant. Mais en vérité, la mort n’est pas l’ultime conclusion : elle constitue un premier début. Elle n’est pas néant, mais quelque chose qu’on ne peut éliminer.

 

La philosophie du tout

Lorsque la philosophie nie la mort comme présupposé de la vie, elle fait du néant, du rien, le présupposé implicite de la connaissance du Tout. Or chaque mort correspond à un néant qui est en réalité quelque chose. Le néant n'est pas rien, il est quelque chose. Il n’existe pas un seul néant qui soit pur « rien », mais des milliers de néants constituant chacun un « quelque chose ».

Si la mort est un quelque chose, la philosophie ne doit plus détourner le regard de cette mort en s’appuyant sur un « Tout » qui, en fait, se réduit à un rien. Pourtant, c’est précisément en posant ce présupposé du Tout (comme rien) qu’elle s’est égarée et qu’elle a construit des « systèmes » visant à savoir, par la seule pensée, ce qu’est le monde. De tout temps, la philosophie s’est ainsi consacrée à ce débat entre le savoir et la foi.

 

Hegel

La philosophie ne pouvait admettre les mystères de la Révélation, tandis que la religion ne pouvait accepter de n’être, pour la philosophie, qu’une vérité parmi d’autres. Hegel, lui, a procédé autrement : il a conçu la philosophie comme l’accomplissement de ce qui était promis dans la révélation. La vieille querelle parut alors réglée.

Cependant, cette réconciliation entre le particulier et le Tout n’était qu’une apparence : elle s'autoproclamait comme vérité au sein du système philosophique totalisant de Hegel, excluant du même coup toute critique.

 

Kierkegaard

Kierkegaard contesta l’intégration hégélienne de la Révélation dans le Tout. À ce cercle fermé, il opposa la conscience de soi : c’est‐à‐dire la conscience particulière d’un individu, la conscience du péché personnel et de la Rédemption personnelle — une conscience qui ne se dissout pas dans l’universel.

 

Philosophie nouvelle

C’est alors qu’un objet apparut, situé au‐delà de la philosophie : l’individualité. Celle‐ci était une affirmation singulière, s’opposant à l’affirmation de la philosophie.

 

Schopenhauer

Schopenhauer fut le premier à s’interroger, non sur l’essence du monde, mais sur sa valeur. En posant cette question, il visait en fait la valeur de l’homme, et par là même sa propre valeur.

Il rompit avec les autres philosophes en cessant de réfléchir dans le cadre de l’histoire de la philosophie : au lieu de cela, il examina la vie, parce que, selon lui, la vie est « une chose pénible ».

Pour résoudre le problème de la vie humaine, il jugea nécessaire de questionner la valeur du monde pour l’homme. Il procéda d’une façon peu scientifique, mais d’autant plus humaine. Au bout du compte, face au Tout, c’était l’homme — l’Un — qui se dressait, se moquant de toute totalité.

 

Nietzsche

Jusqu’alors, seuls les poètes avaient osé parler de leur propre âme ; les philosophes, eux, s’en étaient abstenus. Et voilà que Nietzsche s’y aventura.

Nietzsche ne distingua pas l’âme de l’esprit : il demeura « un » jusqu’au bout.

 

L'homme

Après Nietzsche, la philosophie devient suspecte. Elle n’est plus, à elle seule, capable de « sauver » l’homme. Celui qui « philosophe avec son cœur » l’emporte sur la philosophie elle‐même. Désormais, on vit apparaître l’homme dans sa simple unicité, sortant du Tout de la philosophie.

 

La métaéthique

Toute éthique naît d’une « physique », autrement dit d’une vision du monde. Or, éthique et physique entretiennent un rapport singulier : la physique prétend résoudre les questions éthiques, et l’éthique prétend résoudre les questions physiques.

Ainsi, d’une vision du monde naît une éthique. Mais à côté de cette « vision du monde » est apparue une vision de la vie, affirmant que l’individu ne se laisse pas dissoudre dans un Tout ou un « monde ». Par conséquent, ce qu’on nommait autrefois « éthique » vis‐à‐vis de la vision du monde mérite désormais, vis‐à‐vis de la vision de la vie, le nom de métaéthique.

Pour saisir ce qu’est la métaéthique, prenons l’exemple du « méchant » au théâtre, qui déclare : « Voilà comment je suis, et c’est ainsi que je veux être. »

 

Le monde

À partir de cette vision de la vie, on a donc forgé une métaéthique (portant sur la vie personnelle, la personnalité, l’individualité). De sorte que les questions de la métaéthique sont sorties du savoir relatif au monde, elles sont devenues relatives au sujet qui se revendiquait d’être l'univers. Et contre l’unité du monde, s'est dressée l’unité de l’homme : le « je » est devenu un principe de vérité.

Or, depuis Parménide, parce que la pensée se vit comme unité, on a toujours présupposé que le monde était également « un ». On a fait du Tout le présupposé nécessaire au savoir. De sorte que refuser l’idée de totalité, c’est nier l’unité même de la pensée.

Depuis toujours, la philosophie s’est efforcée de maîtriser la contingence du monde en la transformant en nécessité au sein d’un système. Mais avec Schopenhauer, cette tendance s’est inversée : le concept de « Tout », de « Logos rationnel », a pu être remplacé par les notions de volonté, de liberté, de non-conscient. Pourtant, ce nouveau concept ne rend pas compte de la contingence dans un monde qui ne peut pas ne pas être.

 

Le métalogique

Le monde a donc perdu cette unité qu’il possédait de Parménide à Hegel. De même que le rapport entre éthique et métaéthique met en lumière celui entre logique et métalogique, le monde est devenu « métalogique » et non plus strictement « logique ». (Il me vient une pensée qui n'est pas chez Rosenzweig, mais il me semble qu'on peut dire, par exemple, que le « je pense donc je suis » signale ce passage au métalogique.)

De la même façon que l’éthos est l’ingrédient de l’homme, la pensée est l’ingrédient du monde. Pour le monde, la vérité n’est pas loi ; c’est un contenu. La vérité ne prouve pas la réalité, c’est la réalité qui maintient la vérité. La vérité ne garantit donc plus le Tout ; ainsi, dans le monde, tout peut advenir. Le monde n’est pas la raison : le monde est vivant.

 

Dieu

Le monde n’est donc plus une unité rationnelle. Puisque chaque individu incarne désormais une position rationnelle possible, l’homme et le monde peuvent cohabiter sans se confondre.

Un monde métalogique, non absolu, est donc un monde « sans Dieu », au sens où Dieu en est extérieur. Si chaque homme occupe une place absolue et demeure irréductible, alors l’homme métaéthique fait perdre à Dieu son statut d’absolu et le renvoie à un concept métaphysique. Dieu n’est plus une unité logique. (Il me semble donc possible de poser l'idée que le monde métalogique peut admettre une pluralité de « physiques » ou théories concurrentes.)

 

Le métaphysique

Il fut un temps où l’on pratiquait une « science métaphysique » de Dieu. Dans le même ordre :

  • Le métaéthique est un ingrédient de l’homme (c’est l’homme qui le possède, et pas l’inverse).
  • Le métalogique, fait du Logos, de la rationalité des individus, un ingrédient du monde.
  • Le métaphysique de Dieu, quant à lui, fait de la « Phusis » (la nature) un ingrédient de Dieu : Dieu a sa propre nature, différente de celle du monde.

 

Devenir homme consiste à assumer l’héritage éthique et ses dispositions propres (métaéthique). Le monde se crée lui‐même par son propre déploiement, et non par sa simple « pensabilité ». De même, Dieu se fait vivant, se réalise, par sa propre liberté, et non par le seul fait qu'il a une nature propre.

Lorsque Nietzsche dit « Si Dieu était, comment pourrais‐je supporter de ne pas être Dieu ? », il ne nie pas Dieu, il le maudit. C’est la première phrase philosophique où Dieu n’est pas jugé inséparable du monde. Ce que Nietzsche ne supporte pas, ce n’est pas l’être de Dieu mais sa liberté. Et c’est cette liberté qui le pousse à se protéger lui‐même.

En fin de compte, le métaéthique expulse hors de soi le métaphysique, l’exposant ainsi comme une « personnalité divine », c'est-à-dire comme unité à l'instar de la personnalité humaine, et non plus comme une simple « unicité ».

 

Mathématiques et signe

Nous avons vu à quel point penser le « Tout » impliquait déjà nombre de présupposés. Et ainsi, le contenu de la philosophie s'est disloqué en trois parties distinctes — Dieu, le monde, l’homme — qui s’opposent mutuellement. Kant associe chacune de ces parties, devenue un « néant », à la théologie, la cosmologie et la psychologie. Notre démarche sera de les considérer non pas comme objets de sciences rationnelles, mais comme objets irrationnels.

Dans l’histoire de la philosophie, l’« être avant la pensée » a souvent été traité comme un pur néant. Mais un tel néant est stérile, on ne peut rien en dire. Il faut donc trouver une voie qui n’exige pas la pensée pour sortir de ce néant. La mort, en tant que néant, est donc le point de départ de tout.

Le néant n'est pas le dévoilement de l'être pur, comme ça l'est dans toute l'histoire de la philosophie. En fait, chaque élément a comme point de départ son propre néant, et non pas un néant vide, général, commun. La mathématique est la science rendant compte de cette dérivation de ce néant singulier en un quelque chose.

 

L'origine

La mathématique ne va pas au‐delà du « quelque chose », comme Platon l’avait déjà découvert. Elle rend compte des choses, non depuis un néant vide et universel, mais depuis un néant différentiel, c’est‐à‐dire déterminé et relié à l’élément étudié (par exemple, la grandeur qui se dissout dans l’infiniment petit : l'infiniment petit conserve les propriétés de la grandeur finie, sans pourtant avoir cette même propriété de finitude). Le différentiel éclaire ainsi la relation entre le néant et le quelque chose, et ouvre deux chemins pour aller du néant au quelque chose :

  • la voie affirmative qui pose ce qui n’est pas néant,
  • la voie négative qui nie le néant.

 

La mathématique est le guide qui reconnaît, dans le néant, l’origine d’un quelque chose. Elle ne se contente plus d’un néant universel (qui ne serait qu’une non‐chose), mais construit un néant singulier et fécond — ce qui va à l’encontre de Hegel. Quand la pensée commence à penser, elle ne découvre pas d’emblée de  l’être, mais du néant (position existentielle).

Kant avait amorcé cette voie en démolissant les trois sciences rationnelles qui le précédaient, mais il n’était pas parvenu à forger un néant unique à partir de ces trois néants du savoir. 

  • La chose en soi de Kant est le néant métalogique chez Rosenzweig.
  • Le « caractère intelligible » chez Kant est le néant métaéthique chez Rosenzweig
  • Dieu chez Kant est le néant métaphysique chez Rosenzweig 

 

Nous nous trouvons donc face à un triple néant du savoir, et c’est dans ce triple néant que Rosenzweig veut retrouver le Tout.








PREMIER LIVRE

Dieu et son être ou métaphysique

(La théologie : acte de puissance et nécessité du destin en Dieu)

(LE DIEU MYTHIQUE)

(Dieu = création)



Le non‐savoir de Dieu

Le non‐savoir de Dieu est le commencement du savoir de Dieu. De fait, nous partons du néant pour aller vers un « quelque chose » ; notre objectif est un concept absolument positif. C’est un procédé très différent de la théologie négative. (Rappelons que la théologie négative est une méthode rationnelle consistant à démontrer que le principe de toutes choses, Dieu, ne peut être aucune des choses. Donc la théologie négative, par la négation de chaque prédicat, parvient à l’ineffabilité totale de Dieu et ne peut livrer qu’une pure expérience supra‐rationnelle, sans connaissance démontrable.)

Ici, nous ne cherchons pas Dieu comme un concept au sein d'un Tout universel : nous visons Dieu pour lui‐même, dans sa positivité absolue. Au commencement de cette recherche, nous plaçons donc le néant du concept cherché. C'est-à-dire que nous plaçons le néant de Dieu comme concept initial. Devant nous se tient donc l’idée d’un « quelque chose » : la réalité de Dieu.

 

Les deux voies

Pour aller du néant à ce qui n'est pas néant, il y a deux voies : la voie de l'affirmation et la voie de la négation. Ces deux voies sont opposées comme le Oui et le Non, de sorte que les résultats diffèrent nécessairement.

 

  • Affirmer le non-néant (le Oui) :
    Pose un infini = le quelque chose côtoie le néant → relativement à Dieu, c'est Dieu plein de lui-même.

 

  • Nier le néant (le Non) :
    Pose un limité = le quelque chose ne côtoie pas le néant → relativement à Dieu, c'est l'événement de cette libération du néant.

 

En ce qui concerne l'essence on interroge sur l'origine, pour l'acte on questionne sur le commencement.

 

Vers la méthode

Nous ne connaissons pas de néant un et universel. Nous ne connaissons que le néant singulier du problème singulier. Notre problème est le néant de Dieu. Et puisque le néant n'est que néant de Dieu, on ne peut pas aller au-delà du cadre de cet objet, donc on ne peut pas aller au-delà de Dieu. Il serait donc faux de croire avoir déduit à partir de l'essence de Dieu, l'essence du monde, ou de l'homme. L'essence demeure en soi-même. Et puisque nous avons mis en pièces le Tout, désormais chaque morceau est un Tout pour soi.

L'assemblement de la mosaïque jusqu'à la perfection du nouveau Tout ne viendra qu'ultérieurement.

 

Nature divine

Le Oui est le commencement. Le Non ne peut être commencement, car le Non du néant ne serait qu'un néant se niant, donc un néant se décidant au Oui. Le Oui ne peut pas être le Oui du néant, car le néant ne peut pas être résultat. Le Oui est le lieu virtuel pour le commencement de notre savoir, il n'est pas au commencement même.

Au commencement, il y a donc le Oui, l'essence infinie de Dieu qui va vers le non-néant, qui va vers son quelque chose.

 

Mot-origine

La force du Oui renferme des possibilités infinies de réalités. C'est le mot-origine de la langue, il est « l'amen » derrière chaque mot. Le premier Oui en Dieu fonde l'essence divine. Et ce premier Oui est « au commencement ».

 

Signe (voir dessin en fin de texte)

j'ai tenté de representer le chemin de l'accomplissement de Dieu, tel que le conçoit Rosenzweig, par un petit dessin (vous le trouverez à la fin de ce texte. J'aime beaucoup faire des schémas. Cela me permet de m'approprier une pensée).

C'est par le passage au multiple que la détermination devient négation. La détermination originelle a lieu dans le Oui, et la position originelle se fait dans le Non. Chaque position singulière d'un sujet est pure position pour soi, et est négation du néant.

(∆ Si A (la nature de Dieu) = (y = x) on symbolise la nature de Dieu posé comme Infini. Alors, y = x est à la fois une équivalence et un processus. Équivalence car seule sa sphère propre est concernée. Processus car il y a une opposition conditionnée par son propre néant).

Pour l'instant nous ne savons pas encore comment Dieu sort de sa sphère propre, ou même s'il sortira de sa sphère propre.

 

 

LIBERTE DIVINE

Le Non est tout aussi originel que le Oui. Il ne présuppose nullement le Oui, car ce qui est originel ne présuppose rien d'autre que le néant. Cependant le Non du néant se détache du néant car il est la négation du néant. Le néant que présuppose le Non, est un néant d'où doit apparaître le Oui, c'est-à-dire un néant du savoir, le point de départ de la pensée sur Dieu.

 

(∆ le Oui et le Non sont dans le néant. C'est seulement que le néant obscur devient un néant du savoir. C'est donc une organisation du néant plus qu'une sortie du néant. C'est la raison pour laquelle y = x, Oui = Non).

 

(∆ Je pense ici à Nietzsche « notre philosophie doit ici commencer non par l'étonnement mais par l'effroi ». Pour Nietzsche, le nouveau commencement de la philosophie n'est plus le « thaumazein » [l'étonnement], mais l'effroi. Pour le dire autrement, la philosophie commence avec l'expérience terrifiante du chaos).

 

Le néant se nie lui-même. C'est seulement dans l'auto-négation que se détache de lui « l'autre ». Et à l'instant de son irruption, le Non a été délié et rendu libre. 

Pour rappel, nous nous questionnons sur Dieu. La liberté de Dieu naît de la négation originelle du néant, elle est donc dirigée vers toute chose autre. La liberté de Dieu est tout simplement un Non puissant.

Pour le Non, le Oui est « pur autre ». Le Non étant la négation pure, il est tourné vers l'autre. Le Non est donc Liberté.

Le Oui est l'essence de Dieu. Le Oui a laissé derrière lui un néant vidé de l'infini, donc un néant fini. Et de ce néant devenu fini se dégagea le Non libre. Le Non libre est infini dans ses possibilités car tout lui est autre (Oui), mais lui-même est toujours « un », toujours fini (Non). Le Non est l'unique, le toujours neuf qui arrive toujours pour la première fois.

Contre l'essence divine infinie (Oui) se dresse la liberté divine (Non), la figure finie de l'acte, un acte dont la puissance est inépuisable. À l'essence (Oui) s'oppose la liberté de l'acte (Non) qui se révèle sans cesse en sa nouveauté. mais cette liberté n'a pas d'autres objets en dehors de sa propre infinité, c'est une liberté divine, une liberté en Dieu et par rapport à Dieu.

 

Signe

En tant que Non originel, il faut placer la liberté divine à gauche de la future équation. Ce Non originel a une force illimitée, on posera donc l'équation selon le schéma « y = ».

Cette liberté est finie dans les différentes étapes qu'elle traverse, qui constituent autant de caractères uniques. Mais cette liberté est infinie dans sa nouveauté constante, et rien n'existe en dehors d'elle.La liberté divine est donc unique, mais non pas singulière. Son symbole sera donc « A = ».

 

 

NATURE VIVANTE DU DIEU

y = le Non, le fini, la liberté, le « pas autrement ».

x = le Oui, l'infini, l'essence, le « c'est ainsi » le « pur autre ».

Logiquement, on peut intervertir tous les termes pour obtenir des niveaux de compréhension différents.

 

La liberté (le fini, y) tend à l'infini (l'essence, x). La liberté en elle-même est finie, mais dans la mesure où elle tend à l'infini, elle est « force infinie », « arbitraire infini » (x→y = force infinie ; ou encore : fini→infini = force infinie)

À mesure que le fini s'approche de l'infini, il sent une résistance croître et sa force se paralyser. Et si le fini rejoignait intégralement l'infini, il serait détruit par l'infini, par le « c'est ainsi » de l'essence.

La puissance n'est donc pas un fini pur, mais un fini toujours en train d'exercer sa puissance sur l'infini. Ce point de contact du fini dans l'infini, c'est le point de la nécessité, et du destin divin. Dans ce mouvement, la liberté divine (y, le Non, le fini, le « pas autrement ») devient « arbitraire » et « puissance ». Et l'essence divine (x, le Oui, l'infini, le « c'est ainsi ») devient « nécessité » et « destin ».

C'est là qu'apparaît le visage divin qui se configure lui-même à l'infini.

 

Mots-origines

Le Oui et le Non ne sont pas les deux seuls mots-origines, il y a un troisième mot : le "Et".

 

Signe

Nous pouvons maintenant symboliser Dieu par l'équation A = A. Cette équation fait voir le pur caractère originel et la satisfaction en soi-même de Dieu. Il n'a besoin de rien en dehors de soi. L'équation symbolise donc la vitalité de Dieu.

 

 

l'OLYMPE MYTHIQUE

Les dieux de l'Antiquité interviennent dans le monde du vivant, mais ils n'y règnent pas. Ce sont des dieux vivants, mais non les dieux du vivant.

Le monde des dieux du mythe reste constamment un monde pour soi. L'essence du mythe, c'est une vie qui ne connaît rien au-dessus ni au-dessous d'elle, une vie purement en soi. C'est l'accord interne entre l'arbitraire et le destin, accord qui ne résonne pas au-delà de lui-même.

Le monde du mythe, c'est la liberté (le Non) et l'essence (le Oui) confondues dans l'unité mystérieuse du vivant.

 

ASIE : LE DIEU NON MYTHIQUE

Dans le monde mythique, Dieu est un concept achevé. Cet achèvement ne produit rien, mais a la nature d'un produit.

Jusqu'à son déclin, le mythique domina partout comme une étape de l'évolution. Il est une forme supérieure aux spiritualités de l'Orient. C'est la raison pour laquelle la révélation se fit en Occident et non en Orient. Le bouddhisme est une régression vers le néant (le Nirvana). Seul un saut mortel permet d'atteindre le Nirvana.

 

La Chine

Dans la Chine classique, la puissance du ciel s'est séparée du néant par une simple négation. Le ciel contient tout dans la mesure où il domine toute chose. Sa puissance est acte, le symbole de cette puissance est la violence que le masculin exerce contre le féminin. Cette puissance est donc un Non à chaque instant renouvelé, et pas un Oui infini.

Le Tao est une efficience sans acte, c'est un dieu silencieux, sans essence. Il est le rien qui rend le quelque chose utilisable : l'espace vide dans le récipient. C'est le Non-acte comme fondement originel de l'acte. Là encore, c'est un point limite : c'est l'unique figure possible pour un athéisme non nihiliste.

 

Athéisme primitif

Le Nirvana et le Tao sont des structures qui permettent de se réfugier dans une pensée spirituelle en échappant à la voix du vrai Dieu. Une fois rentré dans ces spiritualités, il est impossible d'en sortir, car le néant est un piquet solide.

Mais cette abstraction de toute vie divine finit toujours par devenir insupportable aux peuples, et la vie finit par reprendre ses droits. Et le paganisme (religions polythéistes de l'Antiquité) en vient à envahir leurs non-pensées.

C'est seulement dans le paganisme que la voix du vivant trouve un écho. Dans l'espace vide de la non-pensée, la voix se perd dans le vide. Comme les dieux du mythe, le dieu du Nirvana et du Tao sont incapables d'aller au-delà d'eux-mêmes. Mais ils sont infiniment inférieurs aux dieux du mythe, car ils n'ont aucune force pour la vie.

 

 

PRINCIPES ESTHETIQUES FONDAMENTAUX : FORME EXTERNE

Cette richesse de la vie rendue possible par le caractère fermé du monde mythique, est cependant resté vigoureux dans l'art. L'art possède les caractères du monde mythique : l'œuvre d'art est fermée sur soi, et est indifférente à ce qui est autre qu'elle.

Le Beau est un triple mystère : forme externe, forme interne, contenu. L'esprit du mythe fonde le royaume du beau, posant ce qui est beau comme bienheureux.

 

Crépuscule des dieux

Pour que Dieu se dépasse et devienne le Dieu vivant de la vie, il faudrait que le point qu'il a atteint sur le chemin du néant redevienne un néant, un point de départ, afin que les éléments du fini et de l'infini soient à nouveau séparés, et que le résultat apparemment final devienne une source, une nouvelle origine.

Déjà la théologie de l'Antiquité essayait de revivifier le mythe en générateur de vie. Cela consistait toujours à insérer l'homme et le monde dans la sphère du divin. On passait donc toujours de l'homme au divin, mais jamais du divin à l'homme. C'est ce qu'on peut voir entre autre dans les concepts d'amour. L'amour de Dieu pour l'homme ne pouvait être qu'une réponse à l'amour de l'homme, donc le juste salaire et non pas le libre don. Même les efforts ascétiques les plus intenses étaient une performance accomplie par l'homme, et non le don même de Dieu. Autrement dit, l'amour de Dieu n'advenait pas d'abord à l'endurci, mais au parfait. Les "mystiques" n'enseignaient pas les mystères de Dieu aux infidèles. Mais ce sont précisément ces infidèles que Dieu devrait aimer, ou plutôt il faudrait que ce soit Dieu lui-même qui éveille l'amour de l'homme. Mais pour cela, il faudrait que le Dieu infini devienne proche de l'homme dans le fini, au point que l'homme puisse le voir, ce qui est inimaginable.

C'est ainsi que la nostalgie de l'homme emporta l'homme et le monde dans le feu de la divinisation. En les emportant jusqu'au divin, cette nostalgie laissait derrière elle l'humain et le terrestre, et ne conduisait pas à y entrer avec un amour véritable.

L'Antiquité est parvenue jusqu'au monisme de Dieu, mais pas au-delà. Le monde et l'homme doivent devenir la nature de Dieu, se laisser diviniser, mais Dieu ne s'abaisse pas jusqu'à eux. Dieu ne doit pas aimer, il garde pour lui-même sa nature et reste ce qu'il est : le métaphysique.





DEUXIÈME LIVRE

Le monde et son sens ou métalogique

(La cosmologie : naissance et genre dans le monde)

(LE MONDE PLASTIQUE)

(Monde = révélation)"



On ne sait rien du monde. Le néant de notre savoir (Non) est le tremplin vers le quelque chose du savoir (Oui). 

Nous avons foi dans le monde, Dieu, notre Soi. De sorte que le néant de ces trois entités ne peut être qu'un néant hypothétique qui nous permet de construire un savoir. Le rôle de la science n'est donc pas de nous libérer de cette foi, mais au contraire de nous rendre absolu l'hypothétique, de faire de cette foi une foi inconditionnée. Le doute hypothétique n'est donc pas une fin de la pensée, mais un moyen de la pensée pour plonger vers le positif, vers la foi inconditionnée.



ORDRE DU MONDE

L'être de Dieu est une essence infinie en repos. Mais l'être du monde est une essence infinie en perpétuel mouvement. Aussi, le Oui-origine du monde doit donc affirmer autre chose. 

L'infini est partout et toujours. Or, dans le monde, le partout et le toujours ne peuvent être que dans la pensée puisque le monde est en perpétuel mouvement. Le Logos est donc l'essence du monde. La pensée est un système où s'entrelacent une multiplicité de déterminations particulières qui visent le monde comme point d'application.

On doit présupposer une origine unique (Dieu) pour cette pensée, mais on ne peut pas et ne doit pas la prouver. La seule véritable pensée est la pensée effective pour le monde, la pensée impliquée dans le monde.

Mot-origine, signe

Dans l'affirmation de l'essence divine apparaissait la nature de Dieu comme être infini. Dans l'affirmation du monde apparaît le Logos comme possibilité d'application.

Ce logos à la fois universel et attaché au monde peut être désigné par la formule "= A". En raison de son universalité il faut le nommer A. Et il est à droite de l'équation puisqu'il est le résultat d'une affirmation.

 

 

PROFUSION DU MONDE

  • Le monde n'est pas que esprit, il est aussi un principe de renouvellement.
  • Le phénomène n'est pas moins un miracle que l'esprit qui pense ce phénomène. 
  • La négation infinie du néant crée du fini dans le monde.

 

Signe

Le monde s'oppose au néant. Distinguer le processus reviendrait à dire que le néant veut s'accomplir et que le monde est accompli. Mais si on rassemble les termes pour penser le processus, il faut dire plutôt que le monde est l'accomplissement du néant.

Le symbole de la singularité (c'est-à-dire les différents phénomènes qui composent le monde) est B.

 

Contre le logos (Oui) se dresse le phénomène (Non), le quelque chose inépuisable qui inonde le monde. Au Logos (Oui) s'oppose l'infinité du phénomène (Non) qui se révèle sans cesse en sa nouveauté. Et cette infinité dépasse la somme des singularités qui la compose en faisant monde. Cet excès de la totalité des phénomènes est le Logos.

Donc le phénomène est Non originel. La phénoménalisation est finie dans les différentes étapes qu'elle traverse, étapes qui constituent autant de caractères uniques. Mais cette liberté est infinie dans sa nouveauté constante.

Dans ce mouvement, le phénomène (y, le Non, le fini, le "pas autrement") devient "arbitraire" et "puissance". Et le Logos (x, le Oui, l'infini, le "c'est ainsi") devient "nécessité" et "destin".

C'est là qu'apparaît le visage du monde qui se configure lui-même à l'infini.

 Sur le phénomène (Non) et le Logos (Oui), se referme le "Et".



Réalité du monde

Le particulier est sans pulsion, sans mouvement en soi. Le particulier est surprise, ce n'est pas un "donné". Le "donné" est le produit du Logos. Le Logos immobilise la surprise du particulier. Le particulier est un don toujours nouveau, un cadeau. Le phénomène est le miracle dans le monde de l'esprit. La vitalité est donc dans la vie et non dans le Logos.

L'ensemble des phénomènes constitue le Tout métalogique. Il n'est donc pas pensable, mais fécond en pensée. Le monde n'est donc pas créé par l'esprit, mais rempli d'esprit. Dans le mouvement de la chose (la liberté) vers le concept (l'essence), le particulier (la liberté) prend conscience de son orientation vers l'universel (l'essence). Ce particulier devient alors l'individu qui porte les marques de son universel, de son genre, de son espèce. L'individualité n'est pas un degré plus élevé de la particularité, mais une étape du particulier vers l'universel.

Liberté et essence ne sont que des extrêmes conceptuels. La vie (même en dieu) est cette confrontation entre puissance et nécessité. La puissance est limitée par la nécessité, et la nécessité est libérée par la puissance.

La figure du monde est l'insertion de la chose dans le concept. La chose et le concept sont les deux éléments de l'essence du monde. L'événement de la naissance reflète cette évidence : l'individu surgit dans la naissance, le genre apparaît dans l'accouplement. L'acte de l'accouplement précède celui de la naissance. Donc l'homme est à son maximum d'individualité à l'instant de sa naissance. Dans l'accouplement, l'homme renonce le plus à son individualité en rentrant dans l'espèce. Le concept devient alors réalité. 

Ce processus est circulaire. On peut symboliser le monde métalogique par l'équation B = A. 

Cette équation diffère de l'équation de Dieu qui était A = A. L'équation de Dieu posait l'égalité entre deux entités infinies. 

L'équation du monde B = A désigne l'égalité entre deux entités inégales : le contenu du monde (B, l'activité, la liberté), et la forme du monde (A, la passivité, l'essence). Il y a donc un mouvement de l'activité à la passivité (chose = concept ; naissance = accouplement ; individu = espèce ; liberté = essence).

Les relations originelles vont de B vers A (la plénitude entre dans l'ordre, le contenu entre dans la forme, les individus entrent dans l'espèce). Les relations en sens inverse ne sont pas originelles, mais dérivées. L'esprit ne peut porter le corps à la vertu que parce que le corps est toujours présent à l'esprit (c'est donc l'image opposée de l'idéalisme, pour qui le monde n'est pas un miracle, mais est un tout fermé qui va du concept aux choses. Or, l'évidence du monde est le miracle. Le miracle est l'évidence, l'évidence est un miracle).

Le cosmos plastique

Le monde métalogique est le monde organisé. Les parties ne sont pas un tout, mais un ensemble. De fait, toute partie a son chemin propre vers l'ensemble, c'est-à-dire sa courbe de chute propre (Contrairement au Tout de l'idéalisme qui s'écoule dans toutes ses parties. Chez Hegel, le concept idéaliste de l'unité du Tout conçoit un sens dans l'histoire en rendant nécessaire chaque événement historique. De sorte que l'histoire de la philosophie est la conclusion systématique de la pensée philosophique, rendant ainsi inoffensif le point de vue personnel du philosophe).

La vision métalogique du monde crée un nouveau type de philosophe : chaque individu singulier est un chemin propre vers la totalité, et un chemin vers les autres individus. De sorte que chaque philosophe est porteur de l'unité métalogique du monde. Effectivement, ce système est fondamentalement pluridimensionnel. L'unité relative de toutes ces relations est le point de vue du philosophe (comme chez Hegel, l'unité est conditionnée par l'état qu'a atteint le problème dans l'histoire. L'unité atteinte est donc toujours relative. C'est pourquoi Rosenzweig parle de système métalogique du monde, et non de système logique).

 

Concepts esthétiques fondamentaux : forme interne

Le monde comme structure fournit la deuxième loi fondamentale de tout art : "l'idée" du beau, qui est le produit de la connexion générale de chaque partie avec l'ensemble, mais aussi de toutes les singularités entre-elles.





TROISIÈME LIVRE

L'homme et son soi ou métaéthique

(L’anthropologie : défi de la volonté et nature propre de l’homme)

(L’HOMME TRAGIQUE)

(L'homme = rédemption)





Psychologie négative

La conscience de soi est réputée être le plus assuré de tous les savoirs. Mais Kant a enseigné que le "Je" n'est connaissable que dans sa relation au connaître, et non pas en soi-même, que la raison même de la moralité nous est à jamais cachée. Mais il a établi ainsi une psychologie négative qui a conduit à un siècle de psychologie sans âme. Or, toute croyance nécessite un point absurde du savoir. La foi investit précisément ce lieu que ne peut pénétrer le savoir.

 

De la méthode

De même que pour le monde et Dieu, on ne peut pas démontrer l'homme. Le savoir échoue quand il essaie de démontrer une de ces trois entités. Mais par rapport au néant de la démonstration, il existe l'état de fait du lieu où se produit le savoir. Le savoir ne peut donc que suivre le chemin du néant de la démonstration jusqu'à l'état de fait.



Propre de l'homme

En l'homme aussi s'éveillent les mots-origines : le Oui qui crée (il crée dans le non-néant infini "l'essence"), le Non qui génère, le Et qui articule.

Dieu est l'immortel et l'inconditionné : le savoir est sous lui.

Le monde est l'universel et le nécessaire : le savoir et autour de lui et en lui.

L'homme est l'éphémère et le particulier : le savoir est au-dessus de lui.

 

C'est parce que l'homme est avant le savoir (c’est l’homme qui constitue le savoir) que son essence est précisément de ne pas se laisser mettre en bouteille. Sa singularité n'est pas événement (comme elle l'est pour le monde), mais précisément la chose allant de soi : son essence.

L'homme est un singulier qui ne sait rien d'autre de singulier à côté de lui (position solipsiste). Il n'est ni acte, ni événement, il est essence perpétuelle. 

Dans le monde, l'homme parle de sa singularité comme d'une individualité, incluant par là même les autres individualités autour d'elle. Mais sa singularité n'est pas une partie du Tout des singularités. Sa nature propre est une réalité singulière et cependant elle est tout. L'homme est une entité finie et cependant illimitée.

 

Mot-origine

Le Oui originel effectue dans l'essence de l'homme sa particularité. Une particularité qui n'est pas un caractère éphémère mais un caractère permanent : "seul l'homme peut l'impossible, il peut conférer durée à l'instant". Pour l'homme seul, la particularité ne se transforme pas en "individualité" partielle, mais en propriété illimitée du "caractère".

 

Signe

En tant que particulier, il faut désigner l'homme par la lettre B. L'être de l'homme n'est pas contradictoire alors même qu'il ne désire rien et est sans limite (≠ l'être du monde est désir de complétude et infiniment déterminé).

S'il ne s'agissait que de l'essence, l'homme et le monde seraient sur des plans différents. Mais il y a une relation particulièrement étroite entre eux, l'advenue régulière de la particularité pure et simple, sans direction : Le Non dans le monde (le miracle toujours nouveau de l'individualité), le Oui chez l'homme (l'être durable du caractère).



Volonté humaine

Donc de l'homme non plus nous ne savons rien. Mais une fois encore, il faut partir du néant. Le néant du monde s'ouvre devant le Non du phénomène. Le néant de Dieu s'ouvre devant le Non de l'acte libre et toujours neuf. Le néant de l'homme s'ouvre devant le Non de sa liberté. 

Cependant cette liberté de l'homme est différente de celle de Dieu. La liberté de Dieu est liberté pure puisque son objet est infini et passif. La liberté de l'homme est dans son origine une liberté finie, puisqu'elle se heurte dans le monde à du fini. Cependant, la liberté humaine est une liberté finie, mais aussi une liberté inconditionnée, de par son origine immédiate hors du néant nié (sa liberté c’est sa volonté).

La liberté de l'homme n'est donc pas liberté pour l'acte, comme celle de Dieu, mais liberté pour la volonté. Donc elle n'est pas libre puissance, mais libre volonté. La liberté de l'homme n'a donc pas le même pouvoir que la liberté de Dieu, mais son vouloir est aussi inconditionné et illimité que le pouvoir de Dieu.

(En donnant la liberté de l'homme comme inconditionnée, Rosenzweig néglige volontairement les sciences sociales et la détermination sociale de l'homme. C'est donc définitivement une position existentialiste, une position spéculative).

 

Signe

Cette libre volonté est finie dans ses expressions au dehors. C'est-à-dire que dans sa manifestation elle n'est que phénomène. Mais contrairement aux phénomènes du monde, elle a sa propre direction (les phénomènes du monde suivent des trajectoires déterminées par les lois de la physique)

De fait, comme pour les phénomènes, le symbole de la volonté humaine est un B à gauche de l'équation. Mais ce n'est pas un B simple : c'est un "B =". Le symbole a donc la même forme que le symbole de la liberté divine "A =", mais son contenu est opposé : Dieu n'a pas de volonté libre (puisqu'il ne peut se déterminer que par rapport à lui-même), l'homme n'a pas de pouvoir libre (puisqu’il est pris dans le monde des phénomènes). Ainsi, chez Dieu être bon c'est faire le bien, chez l'homme c'est vouloir le bien.

Le symbole a la forme inversée mais le même contenu que le symbole du phénomène dans le monde (le pur Soi est désigné par l'équation "B = B" alors que le monde est désigné par l'équation "B = A") : la liberté apparaît dans le monde des phénomènes comme un contenu parmi d'autres, mais parmi eux, elle est le miracle, elle est différente de tous les autres contenus, puisqu’elle a sa propre direction.



Autonomie de l'homme

Nous cherchons l'homme vivant, le Soi. Le Soi est plus que volonté, et plus qu'être. La volonté humaine veut sa propre essence (comme la liberté de Dieu veut sa propre essence), mais son essence est défi. Sur son chemin vers elle-même, la volonté libre se reconnaît dans sa finitude et devient volonté de défi.

Le défi est pour l'homme ce que la puissance est pour Dieu. Le défi est la figure abstraite de la volonté libre. Le défi est ici pensé comme mouvement interne et non comme rapport aux choses. En somme, le défi défie le caractère : voilà le Soi. Le Soi est ce qui surgit quand la volonté libre empiète sur la nature propre (Le Soi est le Et qui unit le défi et le caractère).

Le Soi est enfermé en soi. Si le Soi s'enracinait dans l'individualité, alors le défi serait tourné vers les autres individualités, et ce n'est pas le Soi qui surgirait mais la personnalité. La personnalité sous-entend d'autres personnalités, on la compare, alors que le Soi n'est pas une partie, il ne se compare pas, il ne s'abandonne pas, il est seul. Le Soi c'est Adam, l'homme lui-même.

A noter qu’un groupe, quand il se considère unique, peut aussi avoir un Soi.



Signe

Personnalité : L'équation de la personnalité (individualité) est B = A. La personnalité est désignée comme objet. 

Soi : L'équation du Soi est B = B, c'est une équation originelle comme l'équation de Dieu (A = A). 

Caractère : L'équation du caractère est A = B. Le caractère est désigné comme affirmation. De plus, le caractère est une particularité qui se place dans l'équation du côté de l'énonciation (à droite), ce qui implique qu'il renonce à ce qu'il y ait des énoncés sur lui, il renonce à ce qu'on le particularise. Dans tout le particulier, seul le caractère fait cette opération. En fait, le caractère définit la volonté libre, et la volonté libre veut le caractère propre.

 

Le Soi (B = B) se tient face à Dieu (A = A), il est pure clôture en Soi et pure finitude.

C'est comme Soi, et non comme personnalité, que l'homme est créé à l'image de Dieu. Adam est exactement comme Dieu, mais il est pure finitude alors que Dieu est pure infinitude.

L'homme peut être B = A, il est alors monde. Mais il peut aussi être B = B, et alors il est Soi. Selon le mot de Kant, "L'homme est citoyen des deux mondes".

Cependant, il n'y a qu'une sphère qui soit monde, la sphère du Soi n'est pas monde. Pour que le Soi devienne monde, il faut que le monde périsse. On ne doit pas confondre ce "monde" du Soi avec le monde existant.



L'éthos héroïque

 

Lignes de la vie

Vu du dehors, il est impossible de distinguer le Soi de la personnalité. Mais au dedans ils sont aussi opposés que le caractère et l'individualité. L'essence de l'individualité est un phénomène du monde. Sa fonction est purement naturelle comme remplir les fonctions vitales et permettre la reproduction de l'espèce. La personnalité aussi remplit des fonctions naturelles, c'est l'inclination politique de l'homme : "l'animal politique".

Le caractère (et le Soi qui se fonde sur lui) n'est pas l'ensemble des instincts vitaux dont nous héritons à la naissance naturelle. Le Soi fait irruption un jour, même si l'homme ne peut pas se souvenir de ce jour. Et à partir de ce jour il ne connaît plus que lui-même, et personne ne le connaît plus. Le Soi est donc l'homme solitaire, l'homme de la singularisation.

Puis dans la mort, le Soi s'éveille à l'ultime solitude, c'est sa seconde naissance. La vie du Soi n'est pas un cycle, le Soi ne sait ni d'où il vient, ni où il va. Dans la vieillesse, la vie se détache de ses inclinations terrestres et particulières : c'est l'âge de la vieillesse. À mesure que se dissout son individualité, sa personnalité, l'homme devient dur dans son caractère, il devient Soi (C'est-à-dire une parfaite équivalence entre le caractère et le Soi, en somme, l'homme atteint l'autodétermination B = B).

 

Lois du monde

Quand dans le Soi, l'homme fait l'expérience de sentir qu'il est le propre fondement de lui-même, son individualité apparaît alors comme un mirage, au même titre que la totalité du monde éthique (communauté, État). Le Soi ne vit dans nul monde éthique, il a son ethos. Le Soi est méta-éthique.

 

L'homme antique

Dans l'Antiquité, l'homme méta-éthique est celui qui s'est dressé contre la subjectivation étatique du système politique. C'est de la même façon que le Soi apparaît dans la contestation radicale d'une politique (Contestation qui apparaît par une vie radicalement autre).



Asie : l'homme sans tragique

 

l'Inde

Le héros tragique de l'Antiquité, c'est le Soi méta-éthique. L'Inde et la Chine n'ont pas accédé au tragique, ni dans l'art dramatique, ni dans le conte populaire. L'Inde n'est ainsi jamais parvenue au Soi. L'idéal indien est prisonnier de toute une caractérisation des caractères. Une loi de vie particulière s'applique à chaque chose : le sexe, les castes, l'âge, la sainteté.

 

La Chine

Contrairement à l'Inde, la Chine accorde trop peu au caractère et à la particularité. L'homme intérieur est dépourvu de caractère. Le Sage, dont l'incarnation est Confucius, est l'homme sans caractère. Et nulle part ailleurs qu'en Chine, un homme aussi ennuyeux que Confucius n'a pu devenir un modèle.

Et même à propos de Lao-Tseu, on dit qu'il voulait rester sans nom. Lao-Tseu prescrit l'obscurité du Soi : ne pas se faire remarquer, laisser aller les choses. 

 

Idéalisme primitif

Donc dans le dépassement et l'effacement du Soi, a lieu l'extinction du Soi. Et que ce soit la particularisation du caractère ou bien l'impersonnalité du sentiment, cela empêche le tragique de se produire.



Le héros tragique

 

Gilgamesh

Gilgamesh est le prototype du héros tragique. Sa vie passe par trois étapes :

  1. L'éveil du Soi humain dans la rencontre avec Éros (la personnification de l'amour)
  2. Les hauts faits qu'il accomplit
  3. Sa rencontre avec Thanatos (la personnification de la mort)

Avec la mort qui atteint son ami, Gilgamesh ressent la crainte de la mort. Et malgré que face à Thanatos il ne puisse "ni crier, ni se taire", il ne se soumet pas et entre dans la mort elle-même pour sauver son ami. En faisant de sa propre mort l'événement le plus important de sa vie, Gilgamesh entre dans la sphère du Soi.

 

La tragédie Attique

Le signe distinctif du Soi, c'est qu'il se tait. Le langage du héros tragique, c'est le silence qui le hisse dans la solitude du Soi. Le silence agit comme une rupture avec Dieu, le monde et les autres. Le Soi ne sait rien en dehors de soi, il ne peut donc qu'être silencieux.

Dans la tragédie antique, l'héroïque est muet. Mais la tragédie s'est peu à peu changée, et le héros qui était silencieux s'est mis à débattre dans le dialogue. Or, en exposant le tragique par le discours, l'art dramatique dérobe en fait le véritable tragique. Dans la tragédie Attique, la fonction du cœur était d'ailleurs de remettre le tragique au centre de la pièce.

Dès qu'il entre en conversation, le Soi cesse d'être Soi. C'est la raison pour laquelle le drame attique ne comporte pas de scène de persuasion où une volonté persuade une autre volonté, comme il en est dans le drame moderne. Le Soi tragique ne mène vers aucune extériorité, il est uniquement tourné vers le dedans, sur son caractère propre. Voilà pourquoi le héros tragique ne comprend pas ce qui lui arrive, et est conscient de ne pas pouvoir le comprendre. Œdipe ne cherche pas à comprendre le destin que lui ont infligé les dieux. Il subit en silence, et se circonscrit dans son Soi. Et en laissant irrésolu l'énigme de sa vie, il accède à la consécration héroïque, à l'éternité.

 

Psyché

Le Soi aspire à l'éternité, alors que la personnalité se contente de l'éternité des relations dans lesquelles elle se développe. L'éternité du Soi consiste donc à ne pas pouvoir mourir. Mais pour que le Soi ne meurt pas, la psychologie antique a eu recours au concept d'âme. Ainsi séparée du corps, l'âme est porteuse du Soi. Mais puisque l'âme est naturelle, sa capacité à ne pas mourir est une capacité à se métamorphoser. C'est donc une immortalité des métamorphoses, alors que le Soi exige une immortalité sans métamorphose ni migration. 

À partir de l'équation du Soi "B = B", tous les chemins ne mènent qu'au silence de l'intériorité.



Concepts esthétiques fondamentaux : fond

 

Pourtant, le silence est déjà parole. Le tragique de la psychologie méta-éthique pose dans le silence du Soi le fondement de la compréhension sans paroles. L'art est précisément ce qui devient une réalité par cette silencieuse compréhension. 

C'est dans le silence que le fond émerge. Et ce fond n'est pas le monde, car chacun a sur le monde son point de vue particulier. Ce fond est quelque chose d'immédiatement pareil : c'est le Soi. Le Soi est ce silence compris par tous. Il suffit de le présenter pour éveiller pareillement chez l'autre le Soi. Et c'est ainsi que s'éveillent les émotions dans le spectateur. Sans pour autant former une communauté, il surgit un fond commun. En d'autres mots, les Soi ne vont pas se rencontrer, et pourtant ils résonnent du même son. Ce "pareil" qui se transfère sans parole, se fait du Soi au Soi, d'un silence à un autre silence.

C'est cela le monde de l'art, un monde d'accords muets où chacun peut éprouver l'intimité de l'autre. Avant même toute parole humaine effective, l'art crée la première compréhension silencieuse et indispensable. Le Soi est entendu sans jamais avoir parlé, le Soi est vu. L'art est le sol sur lequel le Soi peut se développer. Mais puisque le Soi est totalement solitaire, l'art ne crée pas une véritable pluralité de Soi, il crée pour des Soi la possibilité de s'éveiller. 

De fait, dans le monde des apparences de l'art, le Soi reste toujours Soi, il ne devient pas âme.



L'homme solitaire

 

Le Soi ne peut pas devenir âme, car il vit totalement tourné vers le dedans. Seul l'art pouvait réaliser le miracle : faire résonner dans des êtres séparés la note du fond de l'homme. Mais cette magie était limitée, car l'art n'est qu'un monde d'apparence (il nécessite l'œuvre). L'art permet de sentir l'humain en soi, mais pas l'humain en l'autre. Donc l'homme était enfermé dans sa propre réalité. Le Soi restait le seigneur de son éthos : le métaéthique.








TRANSITION

 

Rétrospective : le chaos des éléments

 

Le dieu mythique, le monde plastique, l'homme tragique : ce sont les trois parties. Nous avons véritablement brisé le Tout.

Seul l'omission des détails permet d'aller de l'hypothétique des éléments au catégorique de la réalité.

 

Le "si" secret

Les fragments du Tout, c'est-à-dire les trois éléments (Dieu, monde, homme) sont hypothétiques. Car se demander comment les éléments se rapportent entre eux, équivaut à voir apparaître une multitude de "si" : une multitude de possibilités apparaît. Tant qu'on ne pose pas avec fermeté la question de leurs relations, il est bien possible que les trois éléments semblent coexister simplement.

 

Le "peut-être" public

Dans la pensée hypothétique, chaque élément peut apparaître comme l'ensemble. Cependant, il s'agit bien de trois monismes, trois consciences de l'Un et du Tout. Trois ensembles sont possibles, mais trois Touts sont impensables. On est donc dans l'obligation de questionner leurs relations. Mais poser cette question ne fait qu'accroître la confusion, puisqu’il n'existe pas de relation fixe entre les trois points que sont Dieu, le monde, l'homme (Dieu est-il le créateur du monde ? Ou bien est-ce le monde qui est le créateur de Tout ? Ou encore est-ce l'homme qui a exalté le Soi humain au divin ?).

Ces "peut-être" aboutissent à une multitude de contradictions. Car il n'y a aucune impulsion chez Dieu, le monde et l'homme à s'assembler, chacun d'eux est apparu comme résultat, comme conclusion, chacun est pour soi-même un Tout. Il n'y a donc que l'arbitraire du "si", et l'incertain du "peut-être" qui peuvent présumer des relations.

De sorte que tout ce que nous avons trouvé jusqu'ici apparaît être facticité : la facticité du divin, de l'humain et du mondain. Donc une chose trop petite pour l'aspiration de la foi, car la foi ne peut se satisfaire de la facticité, elle désire une certitude sans équivoque.

Seule la relation servant d'intermédiaire entre les éléments fonde une ordonnance univoque. Par exemple, ce qui détermine le nombre 3 comme unité ou multiple, c'est uniquement l'équation qui le met en rapport avec d'autres nombres.  De même, le point est possibilité universelle : en tant que point il est une facticité solide, un point sur une droite, sur une courbe, sur une surface ? Le point ne peut réellement se déterminer que par une équation qui le met en relation avec d'autres points.

De même, les trois éléments du Tout ne peuvent être reconnus chacun dans sa structure interne, que lorsqu'ils entrent mutuellement dans une relation réelle et univoque, soustraite au tourbillon des possibilités.

 

Le règne du "qui sait ?"

Donc, l'Antiquité possédait la facticité de l'homme, du monde et de Dieu. Mais elle n'a pas réussi à sortir leurs relations réciproques du brouillard de l'incertain, pour les amener à une réalité claire et univoque. Ainsi, les questions relatives à ces trois éléments ne pouvaient parvenir à la clarté, seuls restaient un "qui sait, qui sait, qui sait… ?"

Le paganisme a façonné le monisme de ces trois éléments, dans le sentiment de l'Un et du Tout qu'ils possèdent dans leur facticité.



Prospective : le jour universel du Seigneur

 

Mouvement

L'incertitude du possible n'est donc que la phénoménalisation dans le réel du morcellement interne des éléments. Il faut donc réunir ces éléments pour amener de l'ordre, de la clarté et de la réalité dans cette danse ivre du possible, dans cette nuit du positif, où chaque chose aspire à l'absolu. Il faut replacer au sein des éléments la temporalité comme mouvement des éléments eux-mêmes.

 

Métamorphose

Ces trois éléments sont devenus pour nous résultats quand nous les avons fait surgir du néant du savoir. Ils n'ont donc pas à proprement parler surgi dans la réalité, mais surgi dans le spéculatif. Les résultats de nos recherches (les forces de Dieu, du monde et de l'homme) ne sont donc pas des forces de la réalité visible :

  • Acte de puissance et nécessité du destin en Dieu
  • Naissance et genre dans le monde
  • Défi de la volonté et nature propre de l’homme

Ces forces sont donc :

  • soit des étapes sur notre voie qui va du néant du savoir au quelque chose du savoir.
  • - soit, s'il y a adéquation entre notre néant du savoir et le néant véritable, des forces secrètes qui sont à l'œuvre au sein de Dieu, du monde, de l'homme.

De sorte que ce que nous avons pris pour des forces symboliques sont les premières Révélations de la nature intérieure de ces trois éléments.

 

Ordonnance

Ainsi, ce qui est pur facticité se transforme en origine du mouvement réel. Nous avons trouvé Dieu, le monde et l'homme dans les représentations qu'en faisait le paganisme : Dieu était le dieu vivant du mythe, le monde était le monde plastique de l'art, l'homme était l'homme héroïque de la tragédie. Nous avons affirmé que le métaphysique, le métalogique et le métaéthique étaient le caractère fondamental, moderne et contemporain, des sciences de Dieu, de l'homme et du monde. On pourrait y voir une contradiction puisque le paganisme n'est pas la modernité.

 

Séquence

En fait, l'Antiquité apparaît dans une figure temporelle triple :

  1. Théologie : c'est l'histoire de la naissance de Dieu. C'est donc un passé pour l'Antiquité.
  2. Psychologie : c'est l'histoire de la naissance de l'âme. C'est donc une vie au présent.
  3. Cosmologie : c'est l'histoire de la naissance du monde. C'est donc un avenir.

 

De sorte que la naissance de Dieu serait avant l'origine de l'Antiquité, la naissance de l'âme aurait lieu dans l'Antiquité, et la naissance du monde ne s'accomplirait qu'après le déclin de l'Antiquité. Il y aurait donc dans cette triple naissance une succession des éléments dans la temporalité : Dieu était depuis toujours, l'homme est devenu, le monde devient.

Ce devenir-manifeste de la création est le miracle sans cesse renouvelé

de la révélation. Nous sommes à la transition

 qui mène du mystère

au miracle

Video(s)

Photo(s)

screenshot20250308093907docs
screenshot20250314111512chrome
screenshot20250314111707chrome