Foucault - Le gouvernement de soi et des autres (1983)


“Le gouvernement de soi et des autres” Michel Foucault

Cours au Collège de France - 1983

Abrégé résumé de César Valentine





Michel Foucault (1926 - 1984) est un philosophe français




5 janvier 1983

 

Sur la méthodologie de Foucault

Foucault explique que toutes ces dernières années, ce qu'il a voulu faire, c'est une analyse des foyers d'expériences :

 

  1. Analyse selon l'axe de la formation des savoirs
    (Histoire naturelle, grammaire, économie)
    Il faut repérer les pratiques discursives, et pas analyser le progrès des connaissances. Donc étudier le jeu du vrai et du faux, et les formes de véridiction (Analyse des formes de véridiction)

  2. Analyse selon l'axe de la normativité des comportements
    Étudier les techniques par lesquelles on conduit la conduite des autres
    (Analyse des procédures de gouvernementalité)

  3. Analyse selon l'axe de la constitution des modes d'être du sujet
    Analyser les formes de subjectivation à travers les techniques du rapport à soi, c'est-à-dire comment le sujet recherche une efficacité, se constitue en tant que sujet pratique, s'ordonne à un but
    (
    Analyse des techniques de soi) 

 

Donc :

  1. Substituer à l'histoire des connaissances, l'analyse historique des formes de véridiction
  2. Substituer à l'histoire des dominations, l'analyse historique des procédures de gouvernementalité
  3. Substituer à l'histoire de la subjectivité, l'analyse historique des techniques de soi

 

En d'autres mots, faire une histoire des expériences.

 

 

Sur "l'Aufklarung" (qu'est-ce que les Lumières ?)

Pour la première fois dans les textes de Kant est posé la question de l'actualité : "qu'est-ce qu’il se passe aujourd'hui ?”

Quand les philosophes posaient la question du présent, c'était afin de trouver un motif pour une décision philosophique. Ils ne posaient pas la question “qu'est-ce que c'est précisément que ce présent auquel j'appartiens ?

 

Cette nouvelle question porte en fait sur trois points :

  1. Qu'est-ce qui dans le présent fait sens pour une réflexion philosophique ?
  2. En quoi cet élément est le porteur ou l'expression d'un processus qui concerne la pensée, la connaissance, la philosophie ?
  3. En quoi celui qui parle en tant que penseur fait partie lui-même de ce processus, en tant qu'élément et acteur ?

 

En somme, pour la première fois, la philosophie pose la question de la modernité. Jusqu'à présent, la question de la modernité s'était posée uniquement comme question de la polarité entre l'Antiquité et la Modernité (Quelle autorité accepter ? Est-ce que les anciens sont supérieurs aux modernes ? Sommes-nous dans une période de décadence ?)

 

Dans ce texte sur l'Aufklarung, le discours veut :

  1. Trouver le lieu propre de son actualité 
  2. En dire le sens 
  3. Désigner son mode d'action à l'intérieur de cette actualité 

 

C'est cela l'interrogation nouvelle sur la modernité.

L'Aufklarung s'est appelée elle-même l'Aufklarung, c'est donc un processus culturel qui a tout de suite prit conscience de lui-même en se situant par rapport à son passé et son avenir, mais aussi par rapport à son présent. C'est une période qui formule elle-même sa propre devise, et qui dit ce qu'elle a à faire, tant par rapport à l'histoire de la pensée, que par rapport à son présent et aux formes de savoir.

Foucault souligne que cette façon de philosopher continue jusqu'à nos jours.

 

Sur la révolution de 1789

Cette question de l'Aufklarung, Kant la repose en 1798 à travers la question “qu'est-ce que c'est que la révolution ?” Qui sous-tend la question “y a-t-il un progrès constant pour le genre humain ?

Pour comprendre une réalité, il faut isoler à l'intérieur de l'histoire un événement qui a valeur de signe. Signe de l'existence d'une cause permanente qui tout au long de l'histoire a guidé les hommes sur la voie du progrès, c'est-à-dire une cause constante.

Donc ce signe est remémoratif (ça a toujours été comme ça), démonstratif (c’est ce qu’il se passe actuellement), pronostic (ça se passera encore comme ça). Un tel signe permet de montrer une tendance générale du genre humain à marcher vers le progrès.

Kant dit que ce n'est pas dans les grands événements qu'on doit chercher le signe du progrès, mais dans des événements quasi imperceptibles. Ce signe, c'est la révolution. Mais ce n'est pas la révolution elle-même qui fait sens. Ce qui fait sens c'est la manière dont la révolution fait spectacle, la manière dont elle est accueillie par ceux qui n'y participent pas mais qui la regarde.

Ce qui est important dans la révolution, ce n'est donc pas la révolution elle-même, qui est un gâchis, mais c'est ce qui se passe dans la tête de ceux qui ne font pas la révolution. Ce qui est significatif, c'est l'enthousiasme pour la révolution.

Cet enthousiasme est pour Kant :

  • Le signe que les hommes considèrent qu'ils ont le droit de se donner la constitution politique qu'ils veulent
  • Le signe que les hommes cherchent à se donner une constitution politique qui évite la guerre

 

De fait, ce qui compte ce n'est pas que la révolution aboutisse ou n'aboutisse pas, car le véritable événement est l'accueil de la Révolution qui signifie un changement dans la mentalité des gens.

 

Deux chemins en philosophie

Donc, en plus de la philosophie critique et analytique, Kant est le père d’un autre type de question : “qu'est-ce que c'est que l'actualité ?”, “Quel est le champ actuel de mes expériences ?”. C'est une ontologie du présent, une ontologie de nous-mêmes.

De sorte qu'il y a 2 chemins en philosophie :

  1. Une philosophie critique qui se présente comme une philosophie analytique de la vérité
  2. Une pensée critique qui prend la forme d'une ontologie de nous-mêmes, de l'actualité



Analyse de "Qu'est-ce que les Lumières ?" 

"Les lumières c'est la sortie de l'homme de son état de minorité dont il est lui-même responsable"

 

"Minorité" : incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'un autre.

"Dont il est lui-même responsable" : car l'homme est lâche et paresseux.

 

Puis Foucault analyse le mot "sortie"

Dans la tradition philosophique, la désignation du moment présent se faisait de trois façons :

  1. Une appartenance : l'âge du monde auquel on se trouve qui, par son caractère, est distinct des autres âges
  2. Une idée : on désigne le moment présent par référence à un événement plus ou moins imminent dont on peut voir les signes annonciateurs
  3. Un accomplissement : on définit le moment présent comme un moment de transition par lequel on entre dans un état stable, permanent et achevé

 

L'état de minorité de l'homme

Mais Kant fait rupture avec cette tradition et définit le moment présent comme "ausgang" : une issue, une sortie, sans que rien ne soit dit sur ce vers quoi on va. Cette sortie, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de minorité.

A la fin du texte, Kant fait une prescription : "Sapere aude ! (Ose savoir) Aie le courage de te servir de ton propre entendement, voilà la devise des Lumières".

Cet état de minorité n'est pas une impuissance naturelle, comme l'enfance de l'humanité. Ce n'est pas non plus un état de minorité juridique où l'homme serait privé de droit.

Kant donne des exemples de cet état de minorité : "Si j'ai un livre qui me tient lieu d’entendement, si j'ai un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience morale, si j'ai un médecin qui décide pour moi de mon régime, alors je n'ai pas besoin de me donner la peine". Il y a une dépendance quand il y a substitution d'un discours à son propre entendement. 

Donc l'état de dépendance se situe dans le rapport à ces trois autorités : l'autorité du livre, du directeur de conscience, du médecin. Les 3 critiques et l'Aufklarung vont ainsi se compléter :

 

Critique de la raison pure : il faut faire usage de notre entendement dans les limites de notre raison

Aufklarung : il faut faire un usage autonome de notre entendement sans nous référer à l'autorité d'un livre.

Ces deux principes se répondent l'un à l'autre. C'est parce qu’on déborde les limites légitimes de la raison, qu’on est amené à faire appel à une autre autorité qui va nous mettre dans un état de minorité.

 

Critique de la raison pratique : nous ne devons pas faire dépendre notre devoir de notre destinée ultérieure, mais s'en remettre à des impératifs catégoriques.

Aufklarung : lorsqu'on veut faire dépendre notre devoir de ce que nous pensons être notre destinée ultérieure, c'est là qu'on confie la détermination de notre conduite à un directeur de conscience. Ce dernier peut être utile dans beaucoup de cas, mais il ne doit pas être le principe de notre volonté. 

 

Donc la “minorité” se caractérise dans le rapport gouvernement de soi, gouvernement des autres. Cet état de minorité n'est pas dû à la violence d'une autorité, mais à un certain rapport à nous-même :  un rapport de paresse et de lâcheté. Cette paresse et cette lâcheté ne sont pas des défauts moraux, mais un déficit de l'autonomie. Le projet de l’Aufklarung est de rééquilibrer les rapports entre gouvernement de soi et gouvernement des autres.

Mais le problème est que nous sommes en état de minorité parce que nous sommes lâches et paresseux, et nous ne pouvons pas sortir de cet état de minorité précisément parce que nous sommes lâches et paresseux. Or selon Kant, il y a quelques hommes qui ont échappés à cette paresse et cette lâcheté, et qui peuvent prendre sur les autres cette autorité que ces derniers réclament. Parmi eux, certains, en prenant conscience de leur propre valeur, prennent aussi conscience de la vocation de chaque homme à penser par lui-même, et décident de jouer le rôle de libérateur. Mais ces individus qui sont comme des chefs spirituels ou politiques, ne sont pas capables de sortir les hommes de leur état de minorité, car ils ont commencé par les mettre sous leur propre autorité pour les libérer. Habitués au joug, les hommes ne supportent pas la liberté qu'on leur donne, et ils forcent donc ceux qui veulent les libérer à rentrer dans ce joug.

 

Etat de minorité et état de majorité

De fait, ce ne sont pas les hommes eux-mêmes qui vont effectuer ce processus de transformation de l'état de minorité en état de majorité. Pour comprendre comment on va sortir de l'état de minorité il faut donc analyser le fonctionnement de l'état de minorité. Il se caractérise par la constitution de deux couples illégitimes : 

 

1. L'obéissance et l'absence de raisonnement

Ceux qui gouvernent veulent faire croire qu'il ne peut y avoir obéissance que là où il y a absence de raisonnement.

 

2. Le domaine privé et le domaine public

  1. Le domaine privé : c’est l'usage des facultés dans l'activité professionnelle dont les objectifs sont ceux du bien collectif. Dans ces activités nous sommes comme les pièces d'une machine, nous ne fonctionnons pas comme sujet universel, mais comme individu.
  2. Le domaine public : c’est l'usage de nos facultés en tant que sujets universels, c'est-à-dire quand nous nous adressons en tant que sujet rationnel à l’ensemble des sujets rationnels. Dans la dimension de l'universel, l'usage de notre entendement doit être public

 

Il y a donc minorité lorsqu’est confondu obéir et ne pas raisonner. Inversement, il y aura majorité lorsque l'obéissance sera séparée de l'acte de raisonner, donc quand on obéira dans la sphère privée (en tant que citoyen, fonctionnaire, soldat...) et quand on raisonnera dans la sphère publique. Donc, dans l’état de minorité, l’homme obéit et ne raisonne jamais. Dans l’état de majorité, l’homme déconnecte obéissance et raisonnement.

Voilà la définition de l'Aufklarung, c'est le contraire de la tolérance. La tolérance c'est ce qui exclut le raisonnement et la liberté de pensée sous sa forme publique, et qui ne l'accepte que dans l'usage personnel et caché.

Donc l'Aufklarung c'est la promotion de la liberté dans le champ public, et le maintien de l'obéissance à l'intérieur du corps social. Gouvernement de soi dans la sphère publique qui est la forme de l'universel. Gouvernement des autres dans la sphère privée qui est la forme de l'obéissance.

Pour Kant, plus vous laissez de liberté à la pensée, plus l'esprit du peuple sera formé à l'obéissance. Il y a donc un transfert de bénéfice politique de la liberté de pensée sur le domaine de l'obéissance civile.





12 janvier 1983

 

Sur la parrêsia

Ce qui intéresse Foucault, c’est le rapport entre le dire-vrai et la constitution de l’individu comme sujet.

 

La parrêsia (= le franc-parler, la liberté de parole)

Dans l'Antiquité du Ier et IIe siècle, on rencontre la notion de parrêsia. La parrêsia est une vertu que doit avoir celui qui dirige la conscience des autres.

Il y a eu dans l'Antiquité un âge d'or de la culture de soi où s’est développé tout un art de soi nécessitant un rapport à l'autre. Le rôle de l'autre, c'est de dire le vrai sous la forme de la parrêsia. On ne peut pas s'occuper de soi-même sans se connaître soi-même, d'où le principe du "connais-toi toi-même” (gnôthi seauton), qui est un élément d'un principe plus général : "le souci de soi" (epimeleia heautou).

 

Trois points méritent l’attention dans la notion de parrêsia :

  1. La très longue durée de cette notion (de Platon à l'extrême fin de l'Antiquité dans la spiritualité chrétienne)
  2. La pluralité des registres (direction individuelle, champ politique : comment gouverner le Prince afin qu’il puisse se gouverner lui-même et gouverner les autres ? Thématique religieuse avec un renversement de la notion puisque la parrêsia deviendra la confession)
  3. L’ambiguïté autour de cette notion (le franc-parler cynique n'est pas une valeur univoque. Dans la spiritualité chrétienne la parrêsia peut avoir le sens d'indiscrétion)

 

Puis Foucault analyse "La vie de Dion" de Plutarque, texte qui retrace les aventures de Platon et de Dion en Syracuse chez le tyran Denys. Foucault y relève deux scènes exemplaires de parrêsia :

  1. Platon fait une leçon de vertu au tyran. Et ce dernier, agacé, lui demande ce qu'il est venu faire en Sicile. Platon lui répond "je suis venu chercher un homme de bien" (sous-entendu, toi le tyran tu n'es pas un homme de bien). Cet acte de parrêsia met Denys en colère qui fait alors vendre Platon comme esclave
  2. Dion, disciple de Platon et beau-frère du tyran, alors que ce dernier se vante devant ses courtisans, se dresse face à Denys et lui dit la vérité : "après t'avoir vu à l'œuvre, on n'aura plus de confiance en personne"

 

On peut en déduire les deux premiers caractères de la parrêsia :

  1. Le fait de dire la vérité en se démarquant de tout ce qui peut être mensonge et flatterie
  2. Une certaine manière de dire la vérité, et pas tellement le contenu de la vérité

 

Quelle est cette manière de dire le vrai ?

Commençons par éliminer des hypothèses. Ordinairement, on analyse les stratégies du discours. Pour cela, on repère les démonstrations, persuasions, enseignements, discussions.

Or, nous pouvons déjà dire que la parrêsia n’est pas une de ces quatre stratégies :

  • La parrêsia n'est pas une manière de démontrer (tant que Platon démontre sa théorie de la vertu, il ne fait pas acte de parrêsia)
  • La parrêsia n'est pas une stratégie de la persuasion (dans la parrêsia il n'est pas question de persuader, il y a quelque chose de l'ordre du défi, de l'ironie, de la critique)
  • La parrêsia n'est pas une manière d'enseigner (la violence et le côté abrupt de la parrêsia la rend différente d'une procédure pédagogique. A la différence de l'ironie socratique qui pousse l'élève à formuler ce qu'il ne savait pas savoir, la parrêsia est une anti-ironie, car la vérité est jetée à la face de l'interlocuteur, et cette vérité est si violente, si définitive, que l'autre en face ne peut pas l’accepter. La parrêsia a donc un effet anti-ironique et anti-pédagogique) 
  • La parrêsia n'est pas une manière d'affronter un adversaire dans la discussion (l'art de la discussion permet de faire triompher ce qu'on croit vrai par le langage. Or Platon dit une vérité à Denys, et ce dernier ne répond pas par le langage, mais par la violence)

 

Pour conclure, il y a parrêsia lorsque le dire-vrai peut entraîner des conséquences coûteuses pour celui qui a dit la vérité. Donc pour analyser la parrêsia, il ne faut pas chercher du côté de la structure interne du discours, ni du côté de la finalité du discours, mais du côté du risque que le dire-vrai ouvre pour le locuteur.

Les parrèsiastes sont ceux qui entreprennent de dire le vrai jusqu'au risque de leur propre vie.



Différence entre énoncé performatif et parrêsia 

Première différence 

L'énoncé performatif est la forme d'énonciation inverse de la parrêsia. Quand un maître de séance déclare "la séance est ouverte", ce n'est pas une affirmation, ce n'est ni vrai, ni faux. L'énonciation elle-même effectue la chose énoncée. Le performatif s'accomplit dans un monde qui garantit que le dire-vrai effectue la chose dite. Dans l'énoncé performatif l'effet est connu d'avance, c'est un effet codé. Alors que dans la parrêsia, l'irruption du discours vrai ouvre un risque indéterminé.

Il y a donc parrêsia quand le dire-vrai met en danger le sujet qui parle.

 

Deuxième différence

Dans l'énoncé performatif, un certain statut est indispensable (le président de la séance doit avoir autorité, de même le "je m'excuse" ne peut se produire que dans une certaine situation où l'on doit s'excuser). De plus, le sujet qui parle n'a pas à croire ce qu'il dit, ni d'ailleurs à être ce qu'il prétend être, pour que son énonciation effectue la chose énoncée (on peut dire “je m’excuse” et ne pas être sincère, le chrétien qui dit “je te baptise” peut ne pas croire en Dieu, ses paroles suffisent à baptiser l’enfant).

Au contraire, dans la parrêsia, cette indifférence est impossible. Il y a un pacte double, à deux niveaux :

  1. L'énoncé de la vérité
  2. Je pense vraiment que je dis vrai = pacte parrèsiastique du sujet à lui-même par lequel le sujet est lié au contenu de l'énoncé.

 

Troisième différence

Dans l'énoncé performatif, celui qui parle doit avoir un statut qui lui permet, en prononçant son énoncé, d'opérer ce qui est énoncé (il faut être président pour ouvrir la séance).

Dans l'énoncé parrèsiastique, celui qui parle fait valoir sa propre liberté d'individu qui parle. Donc au cœur de la parrêsia, on ne trouve pas le statut social, le statut institutionnel du sujet, on y trouve son courage.

 

Les quatre caractères de la parrêsia

Donc quatrième caractère de la parrêsia : la parrêsia c'est le fait de se constituer librement partenaire de soi dans la forme d'un acte courageux. Ou en d'autres mots, la parrêsia c'est l'éthique du dire vrai dans son acte risqué et libre. 
Les quatre caractères de la parrêsia sont donc :

  1. Ni mensonge ni flatterie
  2. Une manière de dire la vérité plus qu’un contenu
  3. L’ouverture du risque
  4. La libre adhésion à soi-même

 

Nouvelle définition de la parrêsia

On peut donc élargir notre définition de la parrêsia : le parrèsiaste, c'est l'homme véridique, c'est celui qui a le courage de risquer le dire-vrai dans un pacte à lui-même en tant qu'il est l'énonciateur de la vérité (≈ vérité Nietzschéenne).

 

De sorte que la question devient : comment le fait de s'obliger à dire la vérité est-il effectivement l'exercice le plus haut de la liberté ?

 

La dramatique du discours

Généralement, on analyse en quoi le statut du sujet parlant modifie le sens et la valeur de l'énoncé. C’est ce qu’on appelle faire une “pragmatique du discours”.

Mais dans la parrêsia c'est presque l'inverse, car c'est en produisant l'énoncé que le sujet modifie son mode d'être. Et au lieu d'une pragmatique du discours, on pourrait dire que c'est une dramatique du discours (la valeur de l'énoncé modifie le statut du sujet).

Donc la parrêsia est une des formes de la dramatique du discours vrai (on pourrait faire toute une analyse des différentes formes de dramatique du discours vrai : le prophète, le devin, le philosophe, le savant... Il faudrait étudier la façon dont ils se lient à eux-mêmes, en tant que sujets, à la vérité de ce qu'ils disent).





19 janvier 1983

 

La parrêsia à l’époque classique

À l'époque classique, le mot parrêsia ne comporte pas cette dimension de courage personnel. La parrêsia est alors une structure politique : les citoyens ont la liberté de prendre la parole dans le champ de la politique, et ce droit de parole est hérité en lignée maternelle.

La parrêsia est alors l'exercice d'une parole qui persuade ceux auxquels on commande, et qui laisse la liberté dans un jeu de confrontation aux autres qui veulent aussi commander. Il y a donc le risque que les rivaux l'emportent et donc le risque d'être exilé ou même pire.

 

 

Les trois catégories de citoyens qui composent la cité d'après le texte d'Euripide “Les Suppliantes” : 

  1. Ceux qui sont trop pauvres pour faire quelque chose pour la cité. Ils n'ont donc pas l'autorité politique. Ils détestent toujours les plus forts et les étrangers (haine)
  2. Ceux qui sont riches et qui peuvent exercer le pouvoir mais qui ne s'occupent pas de politique et restent dans la tranquillité et l'oisiveté. Ceux-là se moquent des autres (moquerie)
  3. Ceux qui sont riches et puissants et qui manient la politique. Ils contrôlent la ville, et ils ont les honneurs. Ils ne supportent pas qu'on leur fasse concurrence, et par leurs votes ils essaient de condamner ou d'exclure ceux qui leur font de l'ombre (jalousie)





26 janvier 1983

 

Le faible qui se dresse devant l'injustice du puissant, est un type d'intervention parlée qui est parfaitement ritualisé dans la société grecque, mais aussi dans un certain nombre de sociétés.

Quand le pauvre, le malheureux, le faible, est victime de l’injustice, il ne peut que se tourner publiquement contre le puissant. C'est une manière de faire valoir son propre droit, et de défier le Tout-Puissant, de le combattre avec la vérité de son injustice.

Cet acte rituel du faible peut être rapproché d'autres rituels : en Inde il y a le rituel de la grève de la faim, au Japon il existe certaines formes de suicide. C'est une sorte de discours agonistique (agonistique = relatif à la lutte pour la vie). La seule ressource de combat pour le faible victime d'une injustice, c'est un discours agonistique construit autour de cette structure inégalitaire.

La parrêsia, c’est ce discours par lequel le faible prend le risque de reprocher au fort l'injustice qu'il a commise.

 

Par ailleurs, pour que le plus fort puisse gouverner raisonnablement, il faut que le plus faible le défie de ses discours de vérité. Il faut aussi noter que par le discours de vérité, le faible apparaît et devient, pendant un instant, l'égal du fort.





2 février 1983

 

Liberté de parole et "parrêsia" en démocratie 

En démocratie Athénienne, il y a “isègoria”, c’est-à-dire égalité de parole. La question est donc de savoir en quoi on peut distinguer “isègoria” et “parrêsia”. Car s’il y a égalité de parole, pourquoi y aurait-il besoin de parrêsia, de liberté de parole ?

 

On a vu que la parrêsia est une pratique humaine, c'est un droit humain, mais c'est surtout un risque humain. C’est autour de cette notion de risque qu’on va mieux saisir l’action de la parrêsia à l’intérieur de l’isègoria, donc à l’intérieur de l’égalité de parole.

 

Trois pratiques de dire-vrai :

  1. Parrêsia politique : privilège lié à la naissance qui permet d'exercer le pouvoir par la parole
  2. Parrêsia judiciaire : le cri de l'impuissant contre celui qui abuse de sa propre force
  3. Parrêsia morale : avouer, à celui qui peut nous guider, la faute qui charge notre conscience

 

Donc la parrêsia, dans le cadre de la citoyenneté, et parce qu'il y a "isègoria", est partagée avec d'autres, mais elle est partagée sous la forme de la concurrence, du conflit.

La parrêsia n'est pas tellement liée à un statut (comme l'est l'isègoria), elle est plus liée à un combat. Donc la parrêsia a une structure dynamique et agonistique. C'est un dire-vrai qui est une joute perpétuelle, pour diriger la cité dans une position de supériorité. Elle permet d'être le premier en disant ce qu'on pense être le vrai, et par là de persuader le peuple par de bons conseils, et de diriger ainsi la cité.

La juxtaposition de "isègoria" et "parrêsia" est la caractéristique fondamentale de la véritable démocratie. Donc l'isègoria définit le cadre constitutionnel où la parrêsia va jouer comme libre, et par conséquent comme une courageuse activité de ceux qui prennent la parole et tentent de persuader les autres et de les diriger, avec tous les risques que ça comporte. 

 

On peut donc distinguer deux sortes de problème :

  1. Les problèmes relatifs à la "politeia" : tout ce qui relève de la constitution
  2. Les problèmes relatifs à la "dunasteia" (puissance, exercice du pouvoir) : tout ce qui relève du jeu politique, c'est-à-dire les questions de procédures et les techniques par lesquelles le pouvoir s'exerce (dans la démocratie athénienne, essentiellement le discours-vrai qui persuade). C'est de fait aussi la question de ce que doit être l'être même de l'homme politique.

 

Donc ce qui naît avec cette notion de parrêsia, c'est tout un champ de problèmes politiques distincts des problèmes de la constitution.

Ce qui est dangereux, c'est ce glissement de la politique au “Politique”. Le fait que l'homme politique occupe tout le champ de la politique, tend à masquer les problèmes spécifiques relatifs à la constitution, et relatifs au jeu politique. La parrêsia, c'est justement une notion qui sert de charnière entre ce qui est du problème de la constitution, et ce qui est du problème du jeu politique.

 

Le pacte parrèsiastique

À partir du moment où il n'y a pas de parrêsia dans une cité, alors tout le monde est voué à la folie du maître. Tout le monde est comme esclave, on est obligé de supporter la sottise des maîtres et il n'y a rien de plus dur qu’être fou avec les fous, qu’être sot avec les sots.

La parrêsia a donc pour fonction de limiter la folie du maître par le dire vrai de celui qui doit obéir mais qui devant la folie du maître, est légitime à lui opposer le vrai.

Un maître qui garantit à ses sujets la liberté de parole s’ils disent la vérité, on pourrait appeler ça “le pacte parrèsiastique” : le puissant s'il veut bien gouverner doit accepter que les faibles lui disent la vérité, même si celles-ci sont désagréables.



Le problème de l'altération de la parrêsia

 

 

Plusieurs questions émergent : Comment la démocratie peut-elle supporter la vérité ? Quels sont les bons rapports entre parrêsia et démocratie ?

 

La bonne parrêsia :

  1. Voir le vrai
  2. Être capable de le dire 
  3. Être dévoué à l'intérêt général
  4. Être incorruptible

 

Ce sont ces quatre qualités que doit avoir l'homme politique pour exercer à travers sa parrêsia l'ascendant nécessaire pour que la cité démocratique soit gouvernée.

 

La mauvaise parrêsia :

  1. N'importe qui peut parler, il n'y a plus les droits de naissance, ni les qualités, qui qualifient quelqu'un à parler. Donc les pires vont pouvoir parler et exercer de l'ascendance (= n'importe qui)
  2. Le mauvais parrèsiaste donne l'opinion de la majorité et non son opinion vraie et intelligente (= n'importe quoi)
  3. Le faux discours vrai n'a pas comme caractère le courage de celui qui parle. Il cherche seulement à assurer la sécurité et le propre succès de celui qui parle, en flattant les auditeurs (= bien reçu par tout le monde)

 

La mauvaise parrêsia est donc l'effacement du dire-vrai dans le jeu de la démocratie.

 

Il ne peut y avoir de discours vrai qu'en démocratie, mais ce n'est pas parce que tout le monde peut parler que tout le monde peut dire vrai. Le discours est lié à une différence : seuls quelques-uns peuvent dire vrai. C’est bien cela le vrai, c’est ce qui est rare au milieu du faux. Il se produit donc une scission entre ceux qui ont de l'ascendant et les autres. 

L'émergence du discours vrai est donc à la racine même du processus de gouvernementalité. Si la démocratie peut être gouvernée, c'est parce qu'il y a un discours vrai (et donc des discours faux), c’est-à-dire un discours qui est reconnu comme vrai au milieu d’autres discours qui ne le sont pas. Et c’est le discours reconnu comme vrai qui va avoir de l’ascendant sur les autres.

Donc pas de démocratie sans discours vrai, mais la démocratie menace l'existence même du discours vrai. Donc les deux grands paradoxes au centre des rapports de la démocratie et du discours vrai sont :

  1. Une influence politique, une puissance, liée au discours vrai
  2. Une politique liée à l'égale répartition des pouvoirs



Les quatre grands problèmes de la pensée politique antique (qu'on trouve déjà chez Platon) 

  1. Est-ce que la cité pourra avoir un rapport clair et défini à la vérité ? (question de la cité idéale)
  2. Pour que la cité soit vraie, vaut-il mieux dans la démocratie laisser la parole à tous ceux qui veulent parler, ou faut-il faire confiance à la sagesse d'un prince ? (question de la démocratie ou de l'autocratie)
  3. Comment former ceux qui parleront et guideront les autres ? (question de la pédagogie)
  4. Qui est capable d'être l'artisan de la parrêsia ? (question de la rhétorique ou de la philosophie)

 

Pour comprendre ces différentes questions, il faut se replacer au carrefour Platonicien :

 

Le passage de l'oligarchie à la démocratie selon Platon

Dans une oligarchie, les riches veulent que les autres s'appauvrissent. Il y aura ainsi moins de gens en position de pouvoir partager le pouvoir (Donc pas de lois contre le luxe, car en dépensant pour le luxe et le plaisir ils s'appauvriront). Mais bientôt les jalousies s'allument, des guerres intestines éclatent, et les plus pauvres, qui sont les plus nombreux, prennent le pouvoir. La démocratie s'établit quand les pauvres, victorieux, partagent également entre eux le gouvernement.

En résulte la parrêsia, c’est-à-dire la liberté de parler, mais aussi le droit de faire tout ce qu'on a envie de faire :

  1. Chacun est en quelque sorte son petit État à lui-même. Donc dans cette démocratie, la parrêsia n'est pas ce qui permet l'opinion commune, mais c'est la garantie que chacun sera à soi sa propre autonomie, sa propre unité politique
  2. Chacun étant sa propre unité politique, chacun peut entraîner la foule où il veut

 

L’anarchie dans l’âme et dans la cité

Une âme qui est formée sait distinguer entre désir nécessaire et désir superflu, alors qu'une âme démocratique ne le sait pas. Et comme les désirs superflus sont plus nombreux que les désirs nécessaires, ce sont les désirs superflus qui l'emportent. C’est alors l’anarchie du désir, le logos n'est plus dans l'âme. C'est cette absence de discours vrai et l’anarchie du désir qui sont le caractère fondamental de l'âme démocratique.

De même, il y a l’anarchie dans la cité, car la parrêsia ne fonctionne pas comme il faut. Elle est la liberté de dire n'importe quoi, au lieu d'être ce discours vrai qui va permettre aux hommes raisonnables de prendre le pouvoir.

Donc l'absence de discours vrai produit l'anarchie dans l'âme, et par suite, l'anarchie dans la cité.

 

Ce qui est nécessaire à l’action politique

Platon d'abord séduit par la politique est vite déçu par toutes les injustices qu'il voit. Et après l'exécution de Socrate par le régime démocratique, il quitte définitivement la politique.

Platon conclut qu'il manque à Athènes deux éléments pour mener une action politique :

  1. Il manque les amis : dans une cité mal gouvernée, les liens d'amitié qui permettent de constituer des groupes de pression, ne sont plus possibles
  2. Il manque les occasions : les choses vont tellement mal qu'il n'y a plus d'occasion, c'est-à-dire de moment favorable pour prendre le pouvoir

 

Philosophie et Politique

Platon en conclut que les philosophes doivent arriver au pouvoir, ou que les chefs se mettent à philosopher réellement. Il arrive à cette conclusion, car le dire-vrai n'a plus sa place dans le champ politique. De fait, le dire vrai en politique ne peut être fondé que sur la philosophie. Donc Platon définit la Philosophie comme ayant un droit absolu sur la politique. 

De plus, le philosophe, par rapport à lui-même comme par rapport à la cité, ne peut pas être seulement logos, il ne peut pas se contenter de dire la vérité, mais il doit être celui qui met la main à "l'ergon", à la tâche. 

Et mettre la main à l'action, c'est être le conseiller d'un homme politique. Le discours n'est complet que s'il est capable de conduire jusqu'à l'action (Discours/acte) (parole/réalité).




16 février 1983

 

Sur la question de l'action (l’ergon) philosophique

 

Sur le voyage de Platon en Syracuse

Dion, beau-frère de Denys, informe Platon que Denys le jeune qui va succéder au pouvoir de son père, désire ardemment être initié à la philosophie. Platon qui ne rencontre aucune occasion à Athènes de faire de la politique, voit soudain une occasion se profiler en Sicile. Il se dit que c'est l'occasion de former le jeune prince à la philosophie. Effectivement, dans la démocratie il faut persuader la masse, mais dans la monarchie il suffit d'en persuader un seul et tout sera fait.

 

Platon veut saisir cette occasion pour deux raisons :

  1. La philia : l'amitié qu'il a pour Dion
  2. L'ergon : refuser cette tâche, c'est n'être que logos, que pure discours, alors qu'il lui faut aussi passer à l'action

 

Ergon philosophique et politique

Dans "l'Alcibiade" de Platon, Alcibiade veut se lancer en politique. On se souvient que Alcibiade était amoureux de Socrate. Et Socrate explique : "quand tout le monde courtisait Alcibiade pour sa beauté, moi je restais en retrait. Mais à présent qu'il vieillit et que les amoureux sont moins nombreux, je m'avance". Socrate saisit le kairos que constitue la volonté d'Alcibiade de devenir chef de la cité. Il saisit ce kairos par amour pour Alcibiade. 

C’est un tout autre mouvement qui se produit chez Platon. Platon saisit le kairos d'enseigner Denys, pas par amour pour Denys, mais par une obligation interne qui n'est pas de l'ordre du désir mais qui est la tâche même de la philosophie : ne pas être seulement logos, mais être aussi ergon, être discours et action.

 

Donc pour résumer :

  • Socrate : l’amour (implique le désir) conduit à la politique
  • Platon : une obligation interne (implique le devoir d’être “discours” et “action”) conduit à la politique

 

La tâche de la philosophie

Quand Platon s'inquiète de n'être que logos, il pose de fait la question du réel de la philosophie : "qu'est-ce que le réel de la philosophie ?" Le réel de la philosophie n'est plus simplement le logos, il doit être ergon.

S'interroger sur le réel de la philosophie, c'est se demander ce qu'est, dans sa réalité même, la volonté de dire vrai (qui peut d’ailleurs se tromper et dire le faux) qui s'appelle la philosophie. Et donc, l’épreuve par laquelle la philosophie va se manifester comme réelle, c'est le fait qu'elle a le courage de s'adresser à celui qui exerce le pouvoir.

Mais il faut insister sur le fait que la philosophie est différente de la rhétorique. La rhétorique est un moyen de persuader les gens de ce dont ils sont déjà persuadé. La philosophie ne cherche pas tant l'efficacité politique, elle cherche plutôt à introduire sa différence propre à l'intérieur du champ de la politique.

On a longtemps cru que le réel de la philosophie, c'était de dire le vrai du vrai. Mais la tâche de la philosophie n'est pas de dire le vrai ou le faux, c'est de parler vrai par rapport au pouvoir.

 

La lettre VII de Platon

A quelle condition le discours philosophique peut-être certain qu'il ne sera pas simplement logos, mais qu'il sera ergon dans le champ de la politique ? C’est-à-dire, à quelle condition le discours philosophique peut rencontrer sa réalité ?

La philosophie ne doit pas s'adresser à tout le monde, mais à ceux qui veulent écouter et suivre l'avis qui sera donné. Le médecin ne peut que soigner celui qui veut obéir et prendre le traitement.

 

Ce que signifie cette référence à la médecine

La médecine est caractérisé de trois façons :

  1. C'est un art de conjonctures (occasions) et de conjectures (suppositions)
  2. C'est un art de persuasion : le bon médecin sait persuader son malade
  3. C'est un art qui prend en charge la vie entière du malade : la médecine porte autant sur le régime que sur la maladie

 

Le conseiller politique doit se conduire comme un médecin. Donc le philosophe en tant que conseiller politique doit : 

  1. Intervenir que lorsqu'il y a une maladie
  2. Persuader en même temps qu'il prescrit. Il doit donc dire ce qu'il faut faire, mais aussi expliquer pourquoi il faut le faire. Il doit persuader ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés.
  3. Repenser le régime de la cité, donc pas seulement guérir les maux actuels. C'est donc la politeia de la cité qui est l'objet de son intervention. Il faut entendre politeia au sens large, c'est-à-dire l'ensemble des lois, mais aussi la conviction des gouvernés et des gouvernants à suivre ces lois reconnues comme bonnes.

 

Le philosophe-conseiller, ainsi apparenté au médecin, est celui qui doit informer la volonté politique du chef. Mais le philosophe ne peut s'adresser à la volonté du souverain que si le souverain et les citoyens veulent l'écouter. Donc la philosophie ne rencontre son réel que si ceux à qui elle s'adresse veulent écouter. Un discours qui ne serait que protestation et colère contre le pouvoir ne serait pas de la philosophie.

 

Conséquences :

  • La philosophie suppose toujours la philosophie
  • La philosophie ne peut pas se parler à elle-seule
  • La philosophie ne peut pas se proposer comme une violence
  • La philosophie ne peut pas se réduire à des lois
  • La philosophie ne peut pas circuler comme un écrit pouvant tomber entre n'importe quelle main

 

Donc premier caractère du réel de la philosophie

Le réel de la philosophie est qu'elle s'adresse à la volonté philosophique : il ne peut y avoir philosophie que s'il y a quelqu'un qui veut écouter la philosophie.

On voit bien la différence avec la rhétorique : la rhétorique c'est ce qui fonctionne indépendamment de la volonté de ceux qui l'écoutent. Elle saisit la volonté des auditeurs et en fait ce qu'elle veut.

 

A qui enseigner la philosophie ?

Platon est donc allé en Sicile parce qu'il avait une promesse d'écoute. Donc deuxième question : comment peut-on reconnaître ceux qui peuvent et veulent vous écouter ? Il faut commencer par leur montrer le réel de la philosophie, c'est-à-dire les pratiques de la philosophie :

  • C'est une route à parcourir
  • Il faut travailler, peiner et ne pas abandonner
  • Il faut être philosophe jusque dans ses actions ordinaires

 

Il faut aussi trois aptitudes :

  • Comprendre facilement
  • Avoir une bonne mémoire
  • Être capable de raisonner

 

Conversion ou travail sur soi-même

On voit ici la différence avec "l'Alcibiade". Pour exercer le pouvoir, Alcibiade devait d'abord s'occuper de lui-même. Et pour s'occuper de lui-même, il devait d'abord se connaître lui-même, c'est-à-dire convertir son regard vers sa propre âme, percevoir en lui l'élément divin, et ainsi percevoir la justice dans son essence. C'était la condition pour connaître le fondement d'un gouvernement juste. De fait, ce cheminement avait la forme d'un retour de soi sur soi, d’une conversion.

Le chemin philosophique décrit dans la lettre VII n'est pas une conversion. C'est un chemin qui a une origine et un but, un chemin qui exige un travail pénible. Et la question n'est pas de s'attacher aux réalités éternelles, mais à la pratique de la vie quotidienne.

 

Alcibiade : conversion du regard > contemplation de soi-même

Lettre VII : conversion de la décision > se placer sous la direction d'un guide

 

Conséquences

  1. Le réel de la philosophie c'est sa pratique à travers ses exercices
  2. Ces exercices portent sur le sujet lui-même : le réel de la philosophie c’est le travail de soi sur soi

 

Pour résumer

  1. La philosophie ne sera réelle que si elle est écoutée
  2. Le discours philosophique ne sera réel que s'il est soutenu et exercé à travers une série de pratiques

 

L'enseignement de la philosophie

Donc faire de la philosophie, ce n'est pas apprendre des formules, emmagasiner des connaissances, mais c'est cohabiter avec la philosophie. C'est grâce à cette cohabitation que la lumière va s'allumer dans l'âme. Il faut être auprès de la philosophie comme on est auprès du feu, jusqu'à ce que la lampe dans l'âme s'allume. C'est comme cela que la philosophie va rencontrer sa réalité. Une fois la philosophie allumée dans l'âme, elle devra se nourrir de l'âme elle-même. 

Il n’y a donc :

  • Pas de formules, mais une coexistence 
  • Pas d'apprentissage de formules, mais allumage soudain de la lumière dans l'âme 
  • Pas d'inscription dans l'âme de formules toute faites, mais alimentation perpétuelle de la philosophie par le dialogue de l'âme (étonnement, doute, sentiment d'injustice ?)

 

Condamnation de l'écriture

Donc la philosophie ne peut pas s'enseigner sous forme écrite comme un ensemble de formules transmises par un maître à ses disciples. Voilà pourquoi Platon a refusé d'écrire des livres sur la philosophie. 

Et même si nous pouvions en écrire, Platon dit que ce serait inutile ou dangereux. Ce serait dangereux car certains pensant avoir compris la philosophie, en tireraient vanité et mépris pour les autres. Et ce serait inutile car pour ceux qui savent que le réel de la philosophie est dans ses pratiques, l’enseignement par l'écriture est de fait inutile. Ceux-là n’ont pas besoin d'un enseignement explicite, mais seulement d'une “indication”.

 

Les cinq modes de connaissances

Mais le principal refus de l'écriture est donné, toujours dans la lettre VII, à travers la théorie des cinq modes de connaissance. Platon distingue cinq modes de connaissance qui permettent d'avoir connaissance des choses :

  1. Le nom
  2. La définition
  3. L'image

 

Les trois premiers modes font connaître la chose qu’à travers ce qui est contraire à la chose elle-même. Platon prend l'exemple du cercle : 

  1. Le nom est différent de la chose elle-même
  2. La définition aussi puisqu'elle est faite de noms et de verbes
  3. L'image aussi car elle n'est faite que de petits traits mis bouts à bouts, qui sont contraires au cercle lui-même

    Puis vient les deux derniers modes de connaissance :

  4. L'épistémè (la science ou l’opinion droite) : permet de connaître les qualités de la chose, mais pas la chose elle-même. À la différence des autres modes, cette forme de connaissance ne réside pas dans le monde extérieur (les mots sont des bruits, et les dessins sont des images). L'épistémè ne réside que dans l'âme.
  5. La science véritable : le cinquième mode est le contraire des quatre premiers modes. Le cinquième mode permet de saisir l'être même de la chose, c'est l'objet même de la philosophie. Il s'obtient par le frottement continue de l'âme aux quatre premiers modes de connaissance. C'est donc l'âme qui nous donne accès à la réalité de la chose dans son être même.

 

Les trois conditions au réel de la philosophie

On peut donc revenir à notre première question : "à quelle condition le discours philosophique peut être certain qu'il ne sera pas simplement logos, mais aussi ergon ?”, ou en d'autres mots, “à quelle condition le discours philosophique peut rencontrer sa réalité ?” 

  • 1er cercle : l'écoute
  • 2ème cercle : un ensemble de pratiques
  • 3ème cercle : le cercle de la connaissance. La connaissance philosophique est parfaitement différente des quatre autres formes de connaissances

(De fait, si la connaissance ne se fait que par ce frottement de l'âme, un homme sérieux ne peut pas traiter par écrit de ces choses : la philosophie est une activité de l'âme)

 

Le philosophe n'est pas un législateur

Si la philosophie ne peut pas s’enseigner et se pratiquer sous forme de formules (mathêmata), alors le rôle d'un philosophe ne sera jamais d'être un législateur, son rôle ne sera jamais d'édicter des lois. Donc, dans la “Lettre VII”, Platon récuse indirectement des textes comme "La République" et "Les Lois". 

Mais on peut aussi penser que pour Platon, ces deux textes sont à appréhender comme on appréhende un mythe, c’est-à-dire sans beaucoup de sérieux. De fait, l'activité de législateur que Platon se donne dans “La République”, ne serait qu'un jeu. Un jeu comme l’est à sa manière le mythe. C'est par ce jeu même de “jouer au législateur”, que le philosophe peut dire autre chose. Puisque, on l'a vu, le réel de la philosophie dans la politique n'est pas de donner des lois aux hommes, et des formes contraignantes de la cité idéale.

 

Pas de logocentrisme

Ce n'est donc pas parce que l'écriture s'oppose aux logos qu'elle est rejetée. Mais c'est au contraire parce qu'elle est du même côté que lui. L'écriture est une forme dérivée, seconde, du logos.

Ce refus de l'écriture se fait au nom de l'exercice, de la peine, et du travail. Au nom d'un certain rapport laborieux de soi à soi. Il ne faut donc pas voir dans le refus de l'écriture l'avènement du logocentrisme, mais l'avènement d’une philosophie dans laquelle le réel, mère de la philosophie, serait la pratique de soi sur soi.

 

Pas une pensée totalitaire

Il ne faut donc pas chercher dans des textes comme “La République” ou “Les Lois” quelque chose comme l'origine d'une pensée totalitaire. Dans la “Lettre VII”, Platon récuse l'activité nomothétique présente dans ses deux textes, il dit bien que c'est une activité non-sérieuse.

 

Le réel de la philosophie

Donc le rapport de la philosophie à la politique ne va pas se faire sous la forme d’un discours impératif. Il ne s’agit pas de donner des lois aux hommes, ni de leur dire quelle est la cité idéale, mais de rappeler sans cesse à ceux qui veulent écouter que le réel de la philosophie se trouve dans ces pratiques de soi sur soi, et dans le frottement des modes de connaissances qui met en présence de la vérité.





23 février 1983

 

Les rapports entre philosophie et politique

La philosophie n'a pas à dire au pouvoir que faire, mais elle a à exister comme dire-vrai dans une certaine relation à l'action politique. Elle doit dire vrai par rapport à la politique, soit au nom d'une analyse critique, soit au nom d'une conception des droits, soit au nom d'une conception de la souveraineté.

Et inversement, il est important pour toute pratique politique d'être dans une relation permanente avec ce dire-vrai.

Donc le dire-vrai philosophique n'est pas la rationalité politique, mais il est essentiel pour la rationalité politique.

 

Différence entre les Cyniques et Platon

  • Pour les Cyniques, le lieu de cette relation non-coïncidente avec la politique, est la place publique (extériorité, défi, dérision)
  • Pour Platon, le lieu de cette relation non-coïncidente avec la politique, ce n'est pas la place publique, c'est l'âme du prince (intersection, pédagogie)

 

On retrouve ces deux polarités tout au long de l'histoire de la pensée occidentale : le discours philosophique doit-il s'adresser à l'âme du prince pour la former, ou doit-il se tenir sur la place publique en défi, en affrontement, en critique par rapport à l'action politique ? 

 

Dans l'Aufklarung, Kant essaie d'expliquer comment le dire-vrai philosophique a deux lieux : le public et l'âme du prince. Il essaie de faire tenir les deux ensembles, alors que traditionnellement, les deux dire-vrai ne peuvent pas cohabiter (Platon versus Diogène).





2 mars 1983

 

La flatterie, c'est l'opposé de la parrêsia. “Flatterie” et “parrêsia” sont les deux grandes catégories de la pensée politique dans l'Antiquité (voir Plutarque "comment distinguer le flatteur de l'ami").

 

Trois caractères du langage non rhétorique (= l'unité caractéristique de la parrêsia) :

  1. Il est comme le langage de tous les jours
  2. C'est le langage comme il vient : ce n'est pas un discours préparé
  3. C'est un langage de foi, de fidélité : il dit exactement ce qu'il pense

 

Cependant, ceci caractérise pour nous un discours sincère, mais pas un discours vrai. Alors pourquoi pour Socrate et Platon, dire les choses sans ornement, comme elles viennent à l'esprit, et en croyant qu'elles sont vraies, est un critère de vérité ?

Pour mieux comprendre cette étrangeté, il faut savoir que pour les Grecs, le langage dans sa réalité même a un rapport originaire à la vérité. Le langage porte avec lui la vérité du réel auquel il se réfère. Donc le faux n'est pas l'effet propre du langage en tant que tel, mais est le produit d'un artifice, d'une transformation de la forme originaire du langage. De fait, le langage à l'état nu, sans ornement, est reconnu comme le plus près de la vérité. C'est par lui que peut se dire la vérité.

C'est l'un des traits fondamentaux du discours philosophique par opposition au discours rhétorique. Le langage rhétorique est construit de manière à produire son effet sur l'autre. Par opposition, le langage philosophique est sans artifice.

 

L’attitude philosophique

L'intervention politique par laquelle le parrèsiaste va essayer de prendre un ascendant sur les autres pour dire la vérité, c'est de la politique, ce n'est pas de la philosophie.

La question de la philosophie, ce n'est pas la question de la politique, c'est la question du sujet dans la politique. Le philosophe ne s'occupe donc pas de la justice et de l'injustice dans la cité, mais de la justice et de l'injustice commise par un sujet citoyen ou souverain. 

Donc le philosophe cherche le salut du sujet et non le salut de la cité. De plus, la parrêsia peut apparaître dans les manières de faire, dans les manières d'être, sans passer par le rituel du langage (exemple : Socrate refuse l'ordre d'aller arrêter quelqu'un, en rentrant simplement chez lui aux yeux de tous, sans donner d'autres explications que son refus lui-même).

C'est le thème de l'attitude philosophique : il ne suffit pas d’énoncer la vérité dans les conseils qu'on donne, mais il faut être dans sa propre vie un agent de la vérité. 

 

S’occuper de soi et des autres

Dans “l’Apologie”, Socrate dit qu'il ne faut pas s'occuper des honneurs, mais qu'il faut s'occuper de soi-même. Et pour s'occuper de soi, il faut commencer par savoir si on sait bien ce que l'on sait, ou si on ne sait pas. Donc, la parrêsia philosophique c’est s'occuper de soi-même et des autres. Et cette attitude est utile à la Cité, car le parrèsiaste ainsi au milieu de la cité, empêche cette dernière de dormir. Donc, cette fonction du philosophe n'est pas utile au gouvernement de la cité, mais nécessaire à la vie même de la cité (≠ discours rhétorique qui lui est utile au gouvernement de la cité).

 

Donc pour résumer

Le discours philosophique est : 

  1. Le discours dans le champ de la cité
  2. Le discours authentique, sans artifice
  3. Le discours qui s’éprouve lui-même et qui ne prétend pas savoir

 

Effectivement, si la vérité est donnée avant la pratique du discours, le discours ne sera pas un discours de vérité. Pour que le discours soit un discours de vérité, il faut que la vérité soit une fonction permanente du discours (sinon c'est de la rhétorique). Le discours de vérité a un effet direct sur l'âme de celui auquel le discours s'adresse, mais aussi sur l'âme de celui qui parle.




9 mars 1983

 

La philosophie moderne comme nouvelle entreprise parrèsiastique

Donc, la philosophie ancienne a peu de points communs avec la philosophie occidentale moderne, du moins dans le cadre de la philosophie universitaire. Cependant, Foucault propose de voir la philosophie moderne (à partir du XVIe), non pas comme une série de doctrines qui disent le vrai et le faux, sur la science, la morale et la politique, mais comme une entreprise parrèsiastique (le cas des critiques philosophiques dégagées de l’autorité de l'église, ou encore le "je" parrèsiastique de Descartes dans les méditations qui rejette les autorités du savoir). Il y a donc à partir du XVIème siècle, un changement par rapport au Moyen-Âge où la philosophie laissait à l'église la fonction parrèsiastique. Les problèmes qui étaient dans l'Antiquité ceux de la parrêsia, réémergent au XVIe siècle. Ces problèmes prennent conscience d’eux-mêmes dans le siècle des Lumières.

 

On peut donc faire l'histoire de la philosophie comme une série d'épisodes et de formes de véridictions, c'est-à-dire une philosophie comme mouvement de la parrêsia. Et on n’a pas à seulement faire une philosophie comme traditionnellement elle est faite : recherche de l'origine radicale, histoire de la philosophie comme progrès, histoire du développement de la rationalité.



Trois aspects où la philosophie ancienne s'est affirmée comme fonction parrèsiastique

  1. La parrêsia philosophique était une certaine façon non politique de parler à ceux qui gouvernent de la manière dont ils doivent gouverner et se gouverner eux-mêmes = rapport à la politique (rapport de vis-à-vis)
  2. La parrêsia philosophique se place dans un rapport d'opposition et d'exclusion avec la rhétorique. Donc là où il y a philosophie, il doit bien y avoir un rapport à la politique, mais là où il y a philosophie, il ne peut pas y avoir rhétorique. Donc c'est dans la rupture avec la rhétorique que le discours philosophique va pouvoir se constituer et s'affirmer comme un rapport constant la vérité, sous la double forme de la dialectique et de la pédagogie = rapport à la rhétorique (rapport d'exclusion)
  3. La parrêsia philosophique s’adresse, dans son activité psychagogique, au disciple, à l'autre âme = Rapport à la psychagogie (rapport d'inclusion, rapport de réciprocité, pédagogique et érotique)

 

Le mode d'être de la philosophie ancienne et moderne

  1. La philosophie n'a pas à dire ce qu'il faut faire dans la politique (philosophie comme extériorité insoumise à la politique)
  2. La philosophie n'a pas à partager le vrai et le faux dans le domaine de la science. Elle s'emploie à critiquer la tromperie et l'illusion (philosophie comme critique)
  3. La philosophie n'a pas à désaliéner le sujet. Elle doit définir les formes dans lesquelles le rapport à soi peut éventuellement se transformer (philosophie comme ascèse)



La parrêsia dans le Gorgias

“Le Gorgias” pose la question "qu'est-ce que l'être de la rhétorique ?"

L'être de la rhétorique n'est rien. Effectivement, la rhétorique n'est pas capable d'atteindre ce qu'elle prétend : le bien. Elle y substitue l'apparence du bien : le plaisir. Elle n'est pas une tekhnè, car elle n'a pas l'être d'une tekhnè, d'un véritable art.

On a à tort présenté “Le Gorgias” comme préfigurant cinq siècles à l'avance ce que sera l’aveu chrétien, à travers ce thème que la vraie transformation de l'âme doit se faire à travers une rhétorique de l’aveu, sur une scène judiciaire où dire vrai sur soi-même et être puni par un autre vont amener la transformation de l'injuste en juste. Or, une telle interprétation est fausse. Déjà dans “Œdipe”, la thérapeutique du tribunal porte sur la cité et non sur l'âme du coupable : punir le criminel ne guérit pas le criminel, la punition chasse le mal de la cité. Ce n'est donc pas une psychagogie, c'est une politique.

L'important pour Socrate n'est pas d'échapper à l’injustice des autres, mais de ne pas commettre soi-même l'injustice. Ce qui est donc important c'est de faire que l'injuste devienne juste, et non qu'il apparaisse simplement juste. Donc la rhétorique ne sert à rien. 

Il n'y a pas de psychagogie de l'aveu, de psychagogie judiciaire. Ce n'est pas en manifestant la vérité de soi-même devant un juge, que l’injuste se transformera en homme juste.

La rhétorique est cet instrument pour rendre à nouveau inégalitaire une société à laquelle on a cherché à imposer une structure égalitaire par des lois démocratiques. Et puisque c'est contre la loi que la rhétorique joue, la rhétorique ne peut donc pas être liée à la loi. Elle est de fait indifférente au juste et à l'injuste.

 

Le critère de vérité du discours philosophique 

Dans l'épreuve de vérité, ce qui mènera à une décision entre les deux interlocuteurs, c'est l'identité de discours chez l'un et chez l'autre. C'est-à-dire une homologia (logos-même).

Le critère de vérité du discours philosophique n'est donc pas à chercher dans un lien intime entre celui qui pense et la chose qui est pensée, mais dans l'identité du discours entre les deux personnes. Cette identité doit cependant obéir à trois critères qui s'opposent à la flatterie : épistémè, eunoia, parrêsia.

  • Epistémè (opinion droite) : les interlocuteurs doivent “savoir”. Ce savoir ne fait pas référence à un savoir appris, mais au fait de parler en sachant que c'est vrai : ce qu'on dit on le pense vrai
  • Eunoia (amitié) : ils ne doivent pas chercher leur propre profit, leur réputation. Ils doivent avoir l'un envers l'autre un sentiment de bienveillance qui relève de l'amitié
  • Parrêsia : rien qui ne soit de la peur, de la timidité ou de la honte ne doit venir limiter leur discours. Le courage parrèsiastique est donc nécessaire

 

Ce sont ces trois conditions réunies qui réalisent l'homologia. Ainsi réunis, ces trois conditions agissent comme une pierre de touche. Ce sont des opérateurs de vérité.

 

Pour conclure

La parrêsia péricléenne devait nécessairement mener à la rhétorique.

Au contraire, la parrêsia philosophique conduit, non pas à une rhétorique, mais à une érotique. 

L'homologia qui culmine dans la parrêsia va lier l'un à l'autre, le maître et le disciple. Ils forment alors une unité qui n'est plus l'unité de la cité, mais qui est l'unité du savoir, l'unité de l'idée, l'unité de l'Etre lui-même.

 

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